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Véronique Lecrénais-Paoli

Éduquer, pas sans reconnaître la pulsion





Les professionnels de la petite enfance et les parents qui se réfèrent à la méthode de la « discipline positive » et l’éducation bienveillante misent beaucoup sur la reconnaissance et la « gestion » des émotions, avec emoji ou smiley à l’appui, autrement dit la gestalt. C’est une entreprise très louable, fondée sur l’apprentissage, qui laisse toutefois parents et professionnels démunis face à la pulsion. Les adultes « expliquent » beaucoup aux enfants ce qu’il ne faut pas faire, mais cela ne les aide pas à trouver que faire de leurs pulsions. Lorsqu’ils font appel à la psychanalyse, un autre discours s’ouvre à eux, seul à reconnaître l’inconscient et les pulsions.

 

Un miroir au moi-parent-idéal

La Discipline Positive® est une approche psychoéducative créée par Jane Nelsen[1], psychologue américaine, issue des sciences de l’éducation et du développement. Elle prône une éducation basée sur « la fermeté ET la bienveillance », avec le constat que « les enfants ne grandissent plus dans un modèle de soumission »[2].

Cette méthode est inspirée de la psychologie individuelle d’Alfred Adler et Rudolph Dreikurs, dont les piliers sont : respect mutuel et encouragement, croyances et objectifs. Les concepts adleriens sont proches des théories cognitivo-comportementales et des neurosciences : compétences cognitives, émotionnelles, psychosociales, et dans les interactions sociales.

Dans la discipline positive, il s’agit de « rechercher des solutions » et d’« identifier les besoins derrière les comportements des enfants », en développant le « sentiment d’appartenance » qui « nourrit » l’enfant et le « fait exister ».

 

Adler versus Freud : le déni de l’inconscient freudien

Les notions de « message codé », d’« objectif mirage de l’enfant », que propose cette méthode se réfèrent à l’existence de l’inconscient tout en le niant. En effet, elle prône un traitement standardisé des difficultés de l’enfant, rejetant l’impossible auxquels parents et éducateurs sont souvent confrontés. Quid alors des signifiants singuliers qui ont marqué l’enfant ? Quid de lalangue de la famille ? du désir, de la jouissance en jeu ? Quid du réel de la pulsion ?

Psychiatre et psychologue autrichien, A. Adler a participé avec Freud à la Société Psychologique du Mercredi de 1902 à 1908, année de sa dissolution et de la création de la Société Psychanalytique de Vienne, dont il sera président et qu’il quittera en 1911, pour développer sa théorie de « psychologie individuelle ».

 

Avec Freud : le symptôme de l’enfant est salutaire

Dans quelques notes de bas de page de l’œuvre de Freud, on trouve trace du différend qui les a opposés : « Dans l’éducation des enfants plus qu’ailleurs, nous ne voulons rien d’autre qu’être laissés en paix, ne connaître aucune difficulté, bref dresser un enfant bien sage, et être très peu attentif à la question de savoir si ce parcours de développement profite aussi à l’enfant »[3]. Freud fait ensuite référence au symptôme de l’enfant qu’il qualifie de « salutaire », car il oriente « l’attention des parents sur les difficultés inévitables » liées au « surmontement des composantes pulsionnelles innées ». Il précise, concernant le petit Hans, que cela a requis « l’assistance du père », à laquelle on peut ajouter celle du psychanalyste.

Lorsqu’un enfant est étiqueté d’un « trouble de l’attention », il est toujours intéressant d’explorer quelle est l’attention qui lui est portée. Malgré leur bonne volonté, les parents et les professionnels qui ignorent la notion de parlêtre ou de corps parlant peuvent rester sourds et aveugles à l’expression du sujet et être percutés par le réel de la pulsion. « Le réel, c’est le mystère du corps parlant, c’est le mystère de l’inconscient »[4]. Nous ne sommes pas là dans le registre du savoir ou des compétences.

A. Adler considère la pulsion agressive comme une énergie visant à compenser un sentiment d’infériorité. Dans le récit de l’analyse de Hans, en 1909[5], Freud le contredit : « l’angoisse prend naissance par la répression de ce qu’il nomme pulsion d’agression : il a assigné le rôle principal à cette pulsion […] Je ne peux me résoudre à admettre, à côté des pulsions d’autoconservation et sexuelles […] une pulsion d’agression particulière »[6]. Après sa théorie des pulsions de 1915, il ajoute en 1923 une note où il précise qu’A. Adler a, depuis, dénié le refoulement et la psychanalyse. Freud définit une « pulsion de destruction ou pulsion de mort » qui ne correspond pas à la pulsion d’agression d’ A. Adler. Il cite Au-delà de principe de plaisir, publié en 1920, et Le moi et le ça, publié en 1923. Freud affirme son opposition à la thèse d’ A. Adler « qui porte atteinte au caractère universel des pulsions en général en en privilégiant une seule ».

En 1929, Freud énonce : « le fait de cacher aux jeunes le rôle que la sexualité jouera dans leur vie n’est point la seule faute imputable à l’éducation d’aujourd’hui. Car elle pêche aussi en ne les préparant pas à l’agressivité dont ils sont destinés à être l’objet. […] l’éducation ne se comporte pas autrement que si on s’avisait d’équiper des gens pour une expédition polaire avec des vêtements d’été et des cartes des lacs italiens. […], on laisse croire à l’adolescent que tous les autres hommes […] sont donc tous vertueux. Et si on lui laisse croire, c’est pour justifier cette exigence qu’il le devienne aussi »[7].

Ma pratique de psychologue dans le champ de la petite enfance se fonde sur cette orientation freudienne.

 



[1] Nelson J., présentation, disponible sur internet.

[2] Site La famille positive, disponible sur internet.

[3] Freud, S. « Analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans », Œuvres complètes, IX, Paris, PUF, 1998, p. 125.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1974, p. 118.

[5] Freud, S. « Analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans », op. cit., p. 94.

[6] Ibid., p. 122-123.

[7] Freud S., « Malaise dans la civilisation », Paris, PUF, 1971, note bas de page 93.

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