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Solenne Albert

À l’origine de toute psychothérapie : la psychanalyse




Il suffit de lire le 1er point – nommé point A – du rapport de l’Académie de médecine pour que le lecteur comprenne pourquoi les nombreux psychologues, qui font de la psychanalyse leur orientation théorique, manifestent leur désaccord profond face à ce rapport.

Dans ce point A dont le titre est : « Le vaste domaine des psychothérapies », quelles sont les thérapies immédiatement citées ? TIP (thérapies interpersonnelles), TPD (thérapies psycho-dynamiques), et TCC (thérapies cognitivo-comportementales), puis : thérapies systémiques ou familiales, techniques de remédiation cognitives, l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing), la méditation, l’hypnose.

Quelle est la grande absente de ce référencement ? La psychanalyse. Elle n’est pas citée une seule fois dans ce préambule qui pose les bases du rapport. Comment peut-on ne pas citer la psychanalyse comme faisant partie du champ des psychothérapies ? Comment est-il possible d’annuler et d’effacer ainsi – d’un trait de plume – toute l’histoire de la psychothérapie ?

Il y a cent-trente ans, naissait un processus particulier, que Freud nommait – de la bouche d’or de sa première patiente – la « talking cure », cure par la parole. Toutes les psychothérapies, qui ont émergé et fleuri depuis, naissent de ce point d’origine et trouvent leur racine dans l’invention freudienne : celle de considérer que le patient peut retrouver le sens et l’origine de ses symptômes, grâce à la parole.

L’Association des psychologues freudiens s’inquiète – et donne l’alerte – concernant ce qui semble bien être une tentative d’effacement de la psychanalyse, au profit de méthodes neuro-scientistes.

Face à ces attaques, nous ne choisissons ni la désillusion, ni le renoncement, mais appelons à un authentique débat d’ampleur nationale. Que souhaitent nos hommes politiques pour leurs citoyens ? Quelle société voulons-nous ? Comme l’indique Antoine Gallimard, dans sa présentation de la revue Tracts : « Notre liberté de penser, comme au vrai toutes nos libertés, ne peut s’exercer en dehors de notre volonté de comprendre »[1]. Ces travaux sur le rapport de l’Académie de médecine, réalisés par quinze collègues qui ont fait de la psychanalyse la boussole théorique et pratique de leur métier de psychologue clinicien, visent à éclairer les enjeux qui découleraient de l’application des recommandations de ce rapport et à permettre à chacun de comprendre ce qui se joue, au-delà de la psychanalyse elle-même.

Car, ne nous y trompons pas, lorsque l’on s’en prend à la psychanalyse, c’est bien à la liberté de penser que l’on s’en prend. Sa pratique est reconnue, depuis toujours, comme favorisant la prise de conscience de ce qui pèse sur le désir du sujet : oppressions diverses, chaînes symboliques entraînant inhibition, symptômes et angoisse. Or, ces symptômes, une fois déchiffrés, deviennent des désirs nommés, explorés, libérés. Le sujet s’émancipe, prend la parole. Or, nous savons que « la réduction de la liberté de parler est le premier marqueur d’un régime non démocratique[2]. » C’est pourquoi, dans les sociétés totalitaires, la psychanalyse n’est pas possible. Celle-ci n’est possible que dans une démocratie. Alors, posons-nous cette question : Que deviendrait une démocratie qui interdit à ses psychologues de prendre pour référence l’invention freudienne ? Que devient ce « vaste domaine des psychothérapies » sans référence à la psychanalyse ?

L’Association des psychologues freudiens souhaite faire entendre sa voix, et contribuer à faire émerger un véritable débat national, car le succès de la série En thérapie, ainsi que la démultiplication des besoins de parole depuis la pandémie, ont mis à jour les besoins croissants de la population à exprimer et à traiter sa souffrance et ses symptômes.

Nous considérons que ce serait mentir à cette population que de lui faire croire que sa souffrance et ses symptômes pourront être sérieusement pris en charge si l’offre de soin que les psychologues « accrédités » pourront bientôt proposer ne se limite plus – comme le préconise ce rapport – qu’à des thérapies protocolisées et standardisées, relevant du « tout neuro » et bureaucratiquement définies.

Les psychothérapies n’existeraient pas sans la psychanalyse. Et plus. Elles ne seront d’aucune efficacité à long terme sans la référence à la psychanalyse. De nombreuses études statistiques le prouvent. Seules les psychothérapies incluant une prise en compte de l’apport analytique – et donc de l’histoire complexe du sujet et des signifiants qui l’ont marqué – permettent des améliorations symptomatiques sur le long terme. Car ces améliorations ne sont possibles que grâce à des explorations psychiques profondes, qui incluent les mécanismes inconscients, présents en chacun. Les psychothérapies relevant du « tout neuro » – et excluant de leurs approches la référence à la psychanalyse, ne pourront avoir que des effets superficiels et donc à court terme.

Pourquoi vouloir ainsi effacer le nom de Freud – et avec lui l’apport incomparable de son invention ? Pourquoi vouloir appauvrir aussi considérablement ce « vaste champ des psychothérapies » ? Psychothérapie est un mot construit sur les racines grecques de therapeia, (thérapie), et psyché (âme, esprit). Les « psychothérapies » trouvent toutes leur origine incontestable dans la découverte freudienne de l’inconscient. Sans cette découverte, nul besoin d’aller parler à un tiers afin de chercher à explorer les causes, méconnues à soi-même, de sa souffrance. Il n’y aurait pas de psychothérapies sans leur père fondateur. N’ayons pas peur des mots – soulevons le débat : ce rapport ne relèverait-il pas d’une certaine « cancel culture » – un effacement du nom de Freud, pourtant à l’origine de l’invention des pratiques de soin par la parole ? La question est posée. Et il nous semble même qu’à travers cet effacement, comme l’indique Monique Canto-Sperber, « la liberté d’expression est prise en otage[3] ».

Si la Cancel culture est une « stratégie globale de contrôle de la parole[4] » – sans acceptation d’échange d’arguments, de contradictions, de dialogue ou d’objections – gageons que les auteurs de ce rapport s’en distingueront, en acceptant de dialoguer avec nous.

[1] Gallimard A., Collections Tracts et le lien du site : https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tracts

[2] Ibid., p.87.

[3] Canto-Sperber M., Sauver la liberté d’expression, Albin Michel, 2021, p.8.

[4] Ibid., p.26

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