Le dernier rapport de l’académie de médecine sur les « psychothérapies » prépare le terrain à une immixtion de la bureaucratie sanitaire dans le choix des outils et des méthodes dont les psychologues font usage au quotidien dans leur pratique. Pour ce faire, le texte jette clairement le discrédit sur la profession, en laissant planer le fantôme d’un manque de sérieux dans la formation et dans l’exercice clinique. Dans le même mouvement, la psychanalyse fait l’objet d‘une disqualification choquante, même si elle est devenue presque banale, les professionnels se référant à son orientation étant qualifiés d’« adeptes » en « situation d’allégeance aveugle » à son endroit. Difficile donc de ne pas être sensible à cette dérive et de ne pas relever, au-delà-du mépris, la méprise dont les prestigieux auteurs de ce rapport semblent être une nouvelle fois les victimes. A y regarder de près, leur rhétorique est en effet la même que celle du rapport de l’INSERM de 2004 : elle s'appuie sur ce que Jean-Claude Milner avait nommé à l’époque « le paradigme problème-solution [1] ». Ainsi, le rapport commence d’emblée par poser qu'il y a un problème, « d’ambiguïtés » dit-il, dans l’organisation de « l’offre » psychothérapique dans notre pays. À partir de là, il recommande comme solution la soumission des professionnels à un autre paradigme : « l’évaluation scientifique ». Pourtant, comme nous l’avait indiqué précieusement Jacques-Alain Miller en 2004, « l’évaluation n’est pas une science, mais un art du management. Sous prétexte qu’il y a de la mesure, qu’on étalonne, chiffre, compare, etc., on s’imagine que c’est scientifique. Ça n’a rien de scientifique [affirmait-il], et les meilleurs évaluateurs, les plus intelligents, qui sont aux prises avec le problème, savent parfaitement qu’il ne s’agit pas d’une science. Ce n’est pas parce qu’il y a calcul qu’il y a science [2] ». En vérité avait-il ajouté, « l’évaluation est essentiellement une rhétorique. Les évaluateurs, ce sont les sophistes d’aujourd’hui [3] ». Quel est l’intérêt de cet rhétorique sophistique ? Celle-ci est par nature défavorable à la psychanalyse. En effet, les rédacteurs du rapport nous font l’aveu entre les lignes du problème auxquels ils s’affrontent : « l’engouement de la littérature du 20ème siècle, aussi bien que du cinéma ou des médias pour la théorie psychanalytique ». Autrement dit, malgré le programme hygiéniste dont ils font la promotion pour répondre à la souffrance contemporaine : « conseils d’hygiène de vie, incitation à l’activité physique, programmes de psycho-éducation, [...] aide à la gestion de l’emploi du temps et des relations interpersonnelles… », le goût de la talking cure est passé dans le public. Mais plutôt que de prendre au sérieux ce succès et d’en considérer les raisons - en suivant Freud par exemple, pour qui « les névroses sont filles de la civilisation [4] » et la psychanalyse le traitement, ou encore Lacan, pour qui la psychanalyse offre au sujet un « poumon artificiel [5] » au milieu des conséquences irrespirables du discours de la science - le rapport apparaît comme une tentative de discrédit de ce que les patients ont pourtant expérimentés eux-mêmes, sur la vertu thérapeutique du savoir qu’ils peuvent tirer de parler de ce dont ils souffrent. L’ambition du texte semble être bien plus de rééduquer les malappris, dont il s’agit de « corriger les dysfonctionnements psycho-comportementaux ». Avouons qu’une telle terminologie est assez navrante de la part de représentants d’une grande institution médicale, qui nous livrent là leur considération du malaise contemporain dans la civilisation. [1] Jacques-Alain Miller, Jean-Claude Milner, Voulez-vous être évalués ?, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2004, p. 14. [2] Ibid, p. 41. [3] Ibid, p. 63. [4] Sigmund Freud, Ma vie et la psychanalyse. Psychanalyse et médecine, traduction Marie Bonaparte, Gallimard, Format Ebook. [5] Jacques Lacan, Déclaration à France-Culture, 1973, Online, (1) Lacan - Déclaration à France-Culture en 1973 - Intégrale - YouTube
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