top of page
Valérie Bussières

Une exclusion ordonnée





Un projet de loi, portant sur la création d’un ordre national des psychologues a été déposé jeudi 2 mai 2024[1]  Grâce à des recherches sur internet nous avons pu recueillir de nombreux éléments pour en proposer une lecture. Cette proposition de loi a pour but d’établir « une réglementation de portée générale » de la profession de psychologue et de définir « les règles de la pratique de son art » [2].Exit la pluralité des approches et l’unicité du titre si l’ordre des psychologues est affilié aux professions de santé[3], et si les 74 000 psychologues[4] doivent s’inscrire obligatoirement au tableau de l’ordre[5]. Si cette proposition de loi émane d’un groupe de députés, majoritairement Renaissance, l’initiative en revient à une association créée tout récemment : ACOPsy.

« L’Association pour la Création d’un Ordre des Psychologues » (ACOPsy) affiche clairement son but unique : « promouvoir la création d’un ordre des psychologues, ayant pour mission principale de donner une valeur juridique au Code de déontologie des psychologues et d’en assurer le respect par les professionnels, leurs employeurs et les pouvoirs publics »[6]. Le projet est simple et limpide !

Dans leur slogan sur les avancées qu’ont permises les ordres de psychologues dans d’autres pays, ils indiquent : « la protection des actes (évaluation et psychothérapie), doctorat d’exercice et création du titre de neuropsychologue au Québec »[7]. Justement, les dirigeants de cette association, exercent les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) avec une pratique fondée sur les preuves (Evidence-Based Practice, comme ils le précisent). Ces professionnels ont été formés à l’Université du Québec à Montréal et indiquent dans leurs éléments de réflexion combien « le Québec a un ordre bien établi »[8]. Il est donc question de s’en inspirer ! Une prochaine newsletter des Psychologues freudiens vous en dira plus sur cet ordre des psychologues canadiens.

 

Et Alors, quid de l’exercice de la psychologie clinique d’orientation psychanalytique ? Voici un élément de réponse parmi d’autres, trouvés sur le site de l’ACOPsy, qui laisse craindre le pire. Le texte ne prévoit pas de représentativité entre les différentes spécialités de la psychologie. De même, il n’est pas fait mention de représentativité selon les différentes approches cliniques et AcoPsy ajoute : « Afin que ces choix puissent être réfléchis au sein de la profession, la proposition de loi ne propose que des mesures transitoires : elle propose un mode de suffrage pour les toutes premières élections nommant les membres “fondateurs” de l’ordre des psychologues, mais leur laisse le soin de définir les modalités d’élection définitives par le biais du règlement intérieur. Ces questions pourront donc être réfléchies de manière démocratique »[9]. Ainsi l’effet domino met en péril la représentativité de la diversité des pratiques.

 

Par ailleurs, une pétition est mise en ligne, par cette même association, concernant l’acte de psychothérapie[10]. Il semblerait que le souhait ultime soit de définir l’acte de psychothérapie, car, d’après ACOPsy, « aujourd’hui, des personnes non formées à la psychologie proposent des prises en charge psychothérapeutiques ou qui s’y apparentent, ce qui est dangereux pour le grand public »[11]. C’est une position tout à fait étonnante puisque le titre de psychothérapeute est désormais réglementé[12] !

 

Les psychologues sont donc plus que jamais sur le qui-vive[13], car surveiller et punir semblent être les maîtres mots de ce nouvel outil rêvé par certains politiques. Il entre dans la même logique que la volonté d’éradiquer la pluralité des approches, et notamment la psychanalyse, au profit d’un abord uniformisé « tout neuro ». Pour que vivent les psychologues orientés par la fonction sociale de l’écoute, pas sans l’interprétation, le temps est venu de redire notre refus d’un ordre normé entérinant le déni de l’inconscient et excluant la singularité du sujet.



[1] Proposition de loi, disponible sur internet.

[2] Ibidem.

[3] ACOPsy donne une solution étonnante pour éviter la paramédicalisation : « créér un cinquième livre dans le code de la santé publique portant sur les profession de santé mentale ». Disponible sur internet

[4] 74195 psychologues sont recensés au 1er janvier 2023, selon l’INSEE.

[5] Cf. Article 2 point 1 de la proposition de loi.

[6] ACOPsy, page d’accueil disponible sur internet

[7] Dans un document, type flyer, proposé par ACOPsy et intitulé « Un ordre des psychologues, pas besoin ?, réponses argumentées, partie 1 », disponible sur internet.

[8] À l’international, disponible sur internet.

[9] ACOPsy, « Foire aux questions », disponible sur internet. Ceci fait référence à la PPL du 2 mai 2024 à l’article 7 ( point 1) : « À titre transitoire, les services du Premier ministre et les préfectures départementales sont respectivement chargés de l’organisation de l’élection du premier bureau du conseil national » qui détermine le règlement intérieur (article 7 point 4) ; ce dernier (article 5 point 8 et 12) « définit les modalités d’organisation, de fonctionnement et de gestion de l’ordre national des psychologues, notamment dans les domaines suivants […] La représentation des différents secteurs d’activité professionnelle des psychologues et de la diversité de leurs pratiques dans le cadre de commissions dédiées ».

[10] ACOPsy, « Protection de l’exercice et de l’acte de psychothérapie », disponible sur internet.

[11] Ibidem.

[12] Comme l’indique l'article 52 de la loi du 9 août 2004 (disponible sur internet), « L'accès à cette formation est réservé aux titulaires d'un diplôme de niveau doctorat donnant le droit d'exercer la médecine en France ou d'un diplôme de niveau master dont la spécialité ou la mention est la psychologie ou la psychanalyse » et « les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations ».

[13] Albert S., Colombel-Plouzennec A., Geroges-Lambrichs N., Psychologues sur le qui-vive, Nîmes, Champ social, 2024.

932 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page