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Isabelle Magne

Trouble ou Autisme ?





Les diagnostics ne sont pas toujours d’une grande évidence, il faut parfois du temps pour en établir un, ou de la prudence lorsque le sujet est un petit enfant. À cet égard, on peut s’interroger sur l’impact des nouvelles pages des carnets de santé [1] envisagées dans le souci d’améliorer le repérage précoce des troubles du neurodéveloppement. Le diagnostic n’a en effet aucun intérêt si son usage consiste à y enfermer le sujet.

Le héros du roman de Richard Powers intitulé Sidérations, père d’un enfant autiste, énonce : « Je n’ai jamais cru aux diagnostics posés sur mon fils. Quand une pathologie se voit attribuer trois noms différents en autant de décennies, quand elle exige deux sous-catégories pour rendre compte de symptômes absolument contradictoires, quand en l’espace d’une génération elle passe de l’inexistence au statut de maladie infantile la plus diagnostiquée du pays, quand deux médecins veulent à eux seuls prescrire trois traitements différents, c’est qu’il y a un problème. [2] » Un des problèmes est que le politique fonde ses décisions à partir du savoir médical, dont le statut est systématiquement doté d’une valeur « scientifique », alors même que beaucoup d’inconnu persiste, notamment en ce qui concerne l’autisme.

Ainsi, dans la continuité du « plan autisme » instauré en 2017, une nouvelle « stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement [3] » a été élaborée par l’État, classant l’autisme, autrement appelé « troubles du spectre de l’autisme – TSA », avec les « troubles DYS », le TDAH, « le trouble du développement intellectuel » (TDI), soit, dans la catégorie des TND. « Troubles », sous-entendu : troubles du cerveau. Le développement des fonctions cognitives est en effet le principal objet d’études des chercheurs concernés par les TND et dans cette veine, l’État envisage même de créer un « Institut sur le cerveau de l’enfant ». Pour autant, le document préparatoire à la stratégie nationale pour les TND, n’est pas très exhaustif dans ses démonstrations sur le plan scientifique ; il y est essentiellement question de prévalence des TND et de son augmentation, en particulier pour les TSA, dont « les raisons […] sont insuffisamment comprises [4] ».

La clinique orientée par la psychanalyse ne pose pas un diagnostic à partir d’items, mais sous transfert et au plus près du sujet, selon la définition même du terme « clinique » : ce que dit le sujet, son rapport au langage, à l’Autre, ses symptômes, ses angoisses... Le diagnostic peut permettre d’orienter la clinique et d’éviter des ruptures de soin.

Par ailleurs, les études psychanalytiques, notamment dans le champ de l’enfance, ont contribué à prendre en compte la « différence autistique » pour reprendre le titre du dernier ouvrage de       Jean-Claude Maleval [5], restituant à l’autisme sa singularité par rapport aux autres diagnostics et apportant de nouvelles perspectives dans la clinique. Le Centre d’Études et de Recherche sur l’Autisme [6] (CERA), créé par l’École de la Cause freudienne et dont la dernière journée d’étude vient d’avoir lieu ce 23 mars sous le titre « L’autisme pour tous ? », est un lieu d’élaboration et de diffusion de ces recherches. À partir de présentations de cas issus de pratiques en institution ou en cabinet, de témoignages de parents et d’exposés théoriques, chaque matinée de travail explore des questions fondamentales, qui ne concernent pas toujours que l’autisme d’ailleurs : « comment se fait-on un corps ? », « qu’en est-il de la pulsion pour l’autiste ? », « où se situe l’angoisse ? », etc. Comme le rappelle le psychanalyste Hervé Castanet dans son ouvrage Neurologie versus psychanalyse [7], les traces synaptiques ne sont pas des traces psychiques, ces dernières ne sont pas repérables dans le cerveau et le corps biologique, l’organisme, n’est pas le corps marqué par le langage. Il n’est pas possible de réduire le sujet, autiste ou non, au « tout neuro » ; une dimension échappe, objet d’étude de la psychanalyse et qui a toute sa place parmi les recherches scientifiques sur l’autisme.

 



[1]. « Stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement (TND) : autisme, DYS, TDA, TDI. 2023-2027 », « 6 engagements. 81 mesures », disponible sur internet.

2. Powers R., Sidérations, Arles, Actes Sud, 2021, p. 13.

[3]. « Nouvelle stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement : autisme, Dys, TDAH, TDI. 2023-2027 », novembre 2022, disponible sur internet.

4. « Prévalence des troubles du neurodéveloppement. Document préparatoire à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement 2023-2027 », mars 2023, disponible sur internet.

[5]. Maleval J.-C., La différence autistique, Paris, PUV, 2021.

6. 3ème journée d’étude du CERA, « L’autisme pour tous », 23 MARS 2024, disponible sur internet.

[7]. Castanet H., Neurologie versus psychanalyse, Paris, Navarin, 2022.

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