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Laurence Morel-Le Jeanne

Sur le qui-vive !





Une invitation à la lecture de l’ouvrage[1] de Solenne Albert,

Anne Colombel-Plouzennec, et Nathalie Georges-Lambrichs


Un livre, que dis-je, un « Tag ! »[2]… telle cette trace que des graffitis – avec leurs tracés instantanés et leurs messages persistants – laissent sur les murs qui s’offrent à eux ? Son style enlevé, soutenu par le désir des trois autrices, réveille et tient assurément sur le qui-vive !

 

Mais, qu’est-ce donc qui devrait ainsi tenir les psychologues en alerte ? – ceux-là même dont on nous avertit d’entrée de jeu qu’ils sont « des empêcheurs de tourner en rond »[3] ?

En effet, « affrontés (depuis toujours) à la souffrance psychique de leurs semblables […] ils sont aujourd’hui vent debout »[4] depuis que la « santé mentale » s’enquiert de leur bien-être… Solenne Albert, Anne Colombel-Plouzennec et Nathalie Georges-Lambrichs égrènent tout au long de ces pages ce qu’a de symptomatique cette profession de psychologue, reviennent sur son histoire et les embûches rencontrées, notamment dans ce joint de l’intime et du politique[5] qui gît en son cœur même.

Ce Tag, donc, précieux et précis, ne cède sur rien, habité par l’énonciation de chacune de nos trois collègues qui percute le lecteur et l’emporte jusqu’aux dernières pages !

L’histoire nous amène ainsi jusqu’au XXIème siècle, à l’ère du « tout-neuro » et son idéologie scientiste qui prétend réduire le sujet à des zones cérébrales – si complexes soient-elles : « C’est neuro !, nous dit-on. La causalité est matérielle, on est en passe de le prouver. Un article va paraître ! »[6]. « Cette intimidation et ce report au lendemain, misant sur l’espoir, ne sont rien d’autre que le retour du religieux sous les espèces de la croyance, qui entache l’éthique de la recherche scientifique », rétorquent elles.

 

Alors, qu’est-ce que serait une écoute orientée par la psychologie freudienne ? « Le psychologue ainsi orienté n’est pas un détective […] : il considère que c’est vous qui êtes le témoin, que ce que vous dites correspond à la manière dont vous avez vécu les choses, que vous pouvez récuser votre propre parole, la modifier, la confronter, l’oublier, vous et vous seul, car ce qui compte c’est l’effort que vous faites pour le dire […]. Votre point de vue est toujours un point de vue subjectif, singulier, et donc inévitablement incomplet, voire modifié, tronqué, transformé par votre subjectivité, votre manière de déchiffrer ce qui vous arrive. Chacun a sa propre grille de lecture des évènements de sa propre vie, et cette grille de lecture – qui est interprétation de son histoire – a toute sa place, elle est centrale »[7].

Elles égrènent les conséquences de ces discours, les argumentant avec de nombreux exemples cliniques et soulignent les enjeux ; ainsi, sont soulignés le TDAH, ou l’autisme au regard des transferts de crédit opérés vers l’éducatif [8].

Pourtant, avec Freud, elles relèvent combien « les actes manqués et les rêves qui scandent la vie quotidienne des êtres parlants [témoignent] d’un continuum entre le normal et le pathologique »[9]. Elles torpillent les questionnaires renommés « procédures d’accueil » qui escamotent volontairement la rencontre au profit de « données exploitables » : « La causalité psychique est rejetée, hors champ ! et les « troubles » qui lui sont substitués sont classés et mis en forme, pour converger et aboutir à l’unique référence que constitue la catégorie des troubles neurodéveloppementaux (TND) » [10].

 

Soulignons encore combien chacune des trois autrices dessine la place de l’écoute « pas sans le tact, la mesure, et l’interprétation »[11] ; indissociable de la « prise en compte, dans notre pratique, des concepts de répétition, de pulsion, de refoulement, de transfert […] et du concept d’inconscient »[12].

 

Bref, pour ne pas conclure, mais pour vous donner envie d’aller jeter un œil à ce perspicace « Tag », laissons-leur la parole : « continuer à faire de ce qui cloche, ce qui rate, ce qui se répète, une éthique, est un enjeu fondamental pour les psychologues freudiens »[13].

Pour ma part, la légèreté et le sérieux, l’humour aussi de ce petit livre, me fait le recommander à mes stagiaires psychologues de l’Université en leur suggérant de commencer leur lecture par l’Envoi qui est la toute dernière page de ce livre… qui ne se raconte pas !

Bonne lecture !



[1] Albert S., Colombel-Plouzennec A., et Georges-Lambrichs N. (s./dir), Psychologues sur le qui-vive, coll. Tag, éditions Champ Social, 2024 .

[2] Du nom de la collection.

[3] Op.cit., p. 9.

[4] Ibid., p. 10 et 11.

[5] Ibid., p. 23.

[6] Ibid., p. 64.

[7] Ibid., p. 73.

[8] Ibid., p. 69.

[9] Ibid., p. 70.

[10] Ibid., p. 71.

[11] Ibid., p. 88.

[12] Ibid., p. 92.

[13] Ibid., p. 93.

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