« Fin de vie : où en est le sujet ? » Cet appel à contribution de l'association des Psychologues freudiens a résonné pour moi de la manière suivante : « Fin de vie : où est le sujet ? », et a fait écho à une vignette clinique en lien avec cette question.
Dans le cadre de mon travail en EHPAD, il m’arrive de rencontrer des équipes extérieures, sollicitées lors des accompagnements de fin de vie : équipe mobile de soins palliatifs ou service d’hospitalisation à domicile. Récemment, j'ai eu l'occasion de travailler avec une d’entre elles, venue évaluer la douleur d'une dame, pour savoir si elle relevait de leur service. Les filles de cette dame étaient très inquiètes. Lors de l'examen médical, mené par un médecin et une infirmière, la dame eu peu, voire pas de réaction physique. Mais les professionnelles remarquèrent son froncement de sourcils, grâce une observation précise et attentive. Cette marque, pourtant présente lorsqu'elle s'adressait à nous dans une langue qui ne permettait plus de la comprendre, ou quand elle chantait ses comptines, n’avait pas suffi à faire entendre la dimension du sujet. Un traitement antalgique lourd avait été mis en place, soulevant pour moi une question quant à son effet : est-ce une douleur qui est soulagée ou une manifestation subjective qui est annulée ? Dit autrement : quelle fonction la douleur et son expression peuvent-elles avoir pour le sujet ?
L'expression de la douleur peut bien sûr correspondre à un désordre sur le plan organique. En EHPAD, les sujets ayant affaire au vieillissement du corps sont quotidiennement aux prises avec ces dérèglements, les inconforts liés au grand âgé, chacun à leur manière. Mais il est aussi souvent question de la manière de faire encore exister ce corps qui ne fonctionne plus comme avant. La douleur semble montrer que le corps est toujours là, toujours en vie, et la manifestation de cette douleur pourrait indiquer que le sujet est lui aussi de la partie. On ne peut ici pas savoir s'il s'agit d'une douleur physique ou morale, mais ce qui m'a semblé évident dans ce froncement de sourcils, c'est qu'il était le signe d’une présence, de la persistance du sujet jusque dans l'épuisement total du corps.
Catherine Lacaze-Paule, interviewée par Myriam Perrin dans « Lacan sens dessus dessous », met en avant la fonction de la douleur : « La douleur est ce qui permet d’éprouver ce quelque chose qui est de l’organisme. Au fond, la douleur se loge dans cette faille entre l’âme et le corps d’un côté, et l’organisme de l’autre. C’est parce qu’il y a la douleur que quelque chose de l’organisme peut s’éprouver. Balzac fait très bien remarquer cela : une partie de notre corps, dit-il, serait inconnue s’il n’y avait eu la douleur. »[1]
Les EHPAD n'échappent pas aux protocoles et autres grilles d'évaluation, qui se déploient parfois jusqu'aux derniers moments de la vie. Ceux-ci peuvent être utiles, malgré un souci d'objectivation au premier plan, notamment pour alerter les équipes extérieures. Mais au-delà de cette objectivation, persiste le soin d'équipes attentives aux détails. Dans des accompagnements hors-langage, hors-sens, les soignants savent repérer les signes, aussi infimes soient-ils – y compris la douleur – qui doivent alerter ou au moins questionner sur la présence du sujet. C'est ce travail qu'il est possible de soutenir en tant que psychologue en EHPAD, pour faire valoir l'accompagnement au cas pas cas.
Cela permet également de rappeler que si une part de l'accompagnement de fin de vie est médicalisée pour prendre en charge la douleur, cela n'empêche pas le sujet de continuer à se faire entendre. Un signe de douleur peut également être considéré comme une manifestation subjective, parfois la dernière. Il ne s'agit alors pas de prôner la douleur ou une fin de vie difficile à supporter, mais de repérer les signes du vivant chez chacun.
* Amandine Simon est co-auteur, avec Alexia Duchêne et Yves-Marie Le Guernic, du livre Vieillir aujourd’hui. Perspectives cliniques et politiques, Nîmes, Champ social, 2019.
[1] « Lacan sens dessus dessous », La phrase de Lacan que... Myriam Perrin interviewe Catherine Lacaze-Paule, disponible sur internet.
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