Sarah Camous-Marquis
Et s'il existait un mode d'emploi pour être heureux, éduquer les enfants ou encore percer les mystères du féminin via l’orgasme, comme le propose un algorithme dans la série Sexify[1] ? Et s'il suffisait pour cela de trouver les bonnes connections dans le cerveau et de le rééduquer correctement ? Ainsi se profile un horizon rêvé pour certains, là où d'autres perçoivent l'horreur d'une subjectivité abolie. C'est sur cette vague que surfe le succès de nombreux livres mais aussi maintenant des recom-mandations de l’éducation nationale, la prise en charge de la douleur et de nombreux autres sujets sur fond de thèse neurobiologiques dont il est souvent fait un usage discutable. En séance, nous entendons chaque jour le revers de ces injonctions contem-poraines, transformant des impossibles en impuissances pour des sujets jamais à la hauteur.
Que ce soit dorénavant la très réputée Académie de médecine qui rédige un rapport du même ordre[2], comme s'il existait une bonne thérapie pour des souffrances classifiées, est bien plus préoccupant.
Il n'est pas aisé, au-delà du « champ psy », de faire entendre pourquoi viser le rendement économique, la médicalisation et la mise au pas des psychothérapies est dangereux. Ne serions-nous pas prétentieux à refuser de nous plier aux mêmes conditions d'évaluation que la plupart des autres professions ? Où serait le mal à chercher plus d'efficacité et d’organisation ?
Et si nous avancions que, par ce truchement, c’était le lien social qui était finalement en danger ?
Le corollaire du mode d'emploi est le sans équivoque : à un stimulus il y a une réponse, comme dans un ordinateur. Ce que suppose un tel paradigme appliqué au champ psy, c'est l'abolition du malentendu, de l'écart entre ce qu'on dit et ce qu'on veut dire, ce qu'on dit à son insu. C'est prendre les choses au pied de la lettre. Or, rappelons avec Lacan qu’« Une langue, entre autres, n’est jamais que l’ensemble des équivoques que son histoire y a laissé persister. [3]»
Prenons cette citation au sérieux ; elle implique que, sans équivoque, nous n'aurions pas de langue commune. On se parle, on vit, on aime, précisément sur fond de ce malentendu.
L’État s’octroie avec Monpsysanté – et les extensions qui en suivront – un droit de regard avec évaluation et traçabilité, le plus privé de chacun ravalé au rang de n’importe quel objet marchand, consultable sur le dossier médical partagé, suivi via des applications et autres imageries médicales. L’abolition de l’intime aura des conséquences ; celles d’appauvrir la parole, la langue et avec eux le lien social et la démocratie. Alors, n’hésitons pas, c’est un non sans équivoque !
[1] Sexify, série de Piotr Domalewski et Kalina Alabrudzinska, Pologne, 10 x 40 minutes, disponible sur Netflix.
[2] Rapport de l’académie de médecine du 18/01/22 intitulé « Psychothérapies, une nécessaire organisation de l’offre ».
[3] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 490.
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