Le 17 octobre dernier, lors de la soirée conversation « Autisme, contre le dogmatisme » organisée par l’association des Psychologues freudiens, étaient invités les auteurs de la brochure intitulée « Position psychanalytique contre le dogmatisme appliqué à l'autisme ». J’y soumettais au Dr François Leguil l’hypothèse de la contamination de la recherche scientifique par le discours capitaliste et une perspective de profit. Mon idée était bien entendu de pointer le nouage du discours de la science et du capitalisme en tant que tenant les rênes de notre gouvernance et inféodant la science.
Le Dr Leguil a apporté une réponse ciselée, qui constitue pour moi un retournement de perspective.
Il situe d’abord le capitalisme en tant que tel, en indiquant ceci : « La recherche scientifique ne peut pas être contaminée par le capitalisme. Elle est dans un monde où effectivement, la moindre trouvaille aujourd’hui exige de tels investissements financiers qu’il n’est quand même pas étonnant que ce soit très précisément dans le monde capitaliste que depuis bien plus d’un siècle les découvertes scientifiques les plus importantes ont eu lieu ». Donc : « les intérêts et les profits sont bien sûr dans le coup, mais on ne voit pas pourquoi ils n’y seraient pas ». Le capitalisme… capitalise, c’est le cœur de sa logique, en effet !
Pourtant, contamination, il y a bien ! Et de préciser comment la science est devenue une croyance venue s’installer en lieu et place auparavant tenue par la religion, dans un « immense transfert » de l’une à l’autre. Il ajoute : « Jacques-Alain Miller lui-même dit que ce rapport à la science, c’est très précisément ce par quoi Lacan va, lui, traiter, à la différence de Freud, le malaise dans la civilisation. Au fond, le malaise dans la civilisation tel que Lacan l’aborde, c’est dans un certain rapport et dans les effets de la science sur notre temps ».
Et la science est en effet bienvenue, puisque relativement au champ de la médecine, « la guérison n’est absolument plus aujourd’hui un impossible », à tel point que « Lacan dit que le caractère aujourd’hui illimité des possibilités thérapeutiques fait qu’on ne sait plus ce qui est médical ou ce qui ne l’est pas ». Dépathologisation ! F. Leguil rappelle d’ailleurs comment Freud, dans les années 20, en est venu à reformuler ses trois impossibles : de gouverner, éduquer et soigner[1], en « gouverner, éduquer, analyser[2] ».
« La recherche est donc de son temps ». Elle peut être référée à Poincaré lorsqu’il soutient que « le microscope ne prolonge pas l’œil, il prolonge le concept ». « Ce qui contamine la recherche aujourd’hui, ce sont les préjugés. Ce qui contamine aujourd’hui la recherche, ce sont les croyances qui les initient ».
Et la croyance dénie l’existence de l’inconscient.
Alors, cet argumentaire constitue en effet un retournement d’une conception personnelle qui tendait à situer dans le discours capitaliste enchaîné au discours scientifique acéphale la cause de la forclusion à l’œuvre de l’inconscient. Or, le capitalisme, comme avant lui la religion, sont eux-mêmes réponses inscrites dans l’époque au fait que, depuis la découverte freudienne, l’homme ne veut rien savoir de ce qui gît au cœur de l’inconscient. C’est pour maintenir ce farouche refus de savoir que les discours se succèdent : la religion, et aujourd’hui la science. Nul Autre aux aguets dans une construction tissée de sens, mais un point d’impossible, de structure, pour tous, qui, dans notre lien social contemporain donne lieu à des constructions spécifiques. À nous d’y intégrer des « petits trous », selon l’expression utilisée par Nathalie Georges-Lambrichs le 17 octobre. Mais déjà, comme le soulignait aussi Patrick Landman, il n’y a jamais eu plus de demandes de parole qu’à notre époque ! Et nous n’étions pas non plus moins de 400 à partager cette conversation !
[1] Freud S., « Préface à “Jeunesse à l’abandon” » (1925), in Aichhorn A., Jeunes en souffrance ; psychanalyse et éducation spécialisée, Champ social, 2003.
[2] Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », 1937, p. 263 : « Il semble presque, cependant, qu’analyser soit le troisième de ces métiers “impossibles”, dans lesquels on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant. Les deux autres, connus depuis beaucoup plus longtemps, sont éduquer et gouverner »
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