Gaëlle Légo
« Le monde change », écrivait Patricia Viollette en 2006[1]. Effectivement, sous couvert d’une modernisation de nos pratiques et avec l’aide d’un passage de l’évaluation dans la législation[2], nos repères cliniques s’en trouvent bouleversés. Une institution est d’abord un abri pour le sujet, or ces nouveaux dispositifs qui nous sont imposés ne nous permettent plus de proposer un lieu d’accueil de la parole du sujet, et n’autorisent plus la construction d’un savoir-y-faire avec nos pratiques. Pourtant, l’institution se doit de garantir au sujet la négociation d’un écart entre lui et la demande de l’Autre, et d’accueillir sa temporalité subjective et ses inventions. L’opérativité d’une institution réside en l’aménagement d’un dispositif symbolique soutenu par le « politique ».
Aujourd’hui, ce nouveau discours propre au maitre capitaliste, se fait de plus en plus envahissant au cœur de nos métiers, ravalant notre éthique au musée de la préhistoire. Force est parfois de constater qu’elle n’oriente plus nos pratiques, alors elle fait retour de manière externalisée sous forme de Comités d’Éthique qui ne sont que discours vide qui tournent en rond. De même les synthèses deviennent des instances de « suivis, d’élaboration et de réajustement des projets », lesquels sont basés sur des indicateurs comportementaux, ou renvoyés au fonctionnement du cerveau. L’hypothèse de l’inconscient, qui permettait d’interpréter le symptôme, n’est plus à l’ordre du jour, noyé sous des injonctions normatives – protocoles supposés encercler encore plus le « vivant » – ou de Guides de Bonnes Pratiques ayant la prétention de dispenser les professionnels d’une quelconque réflexion. Quid de la responsabilité du praticien dans l’acte ! Cette perte de sens de nos métiers fait retour sous forme de malaise, d’usure professionnelle ou d’absentéisme. Il n’est pas question, ici, de « perte de vocation » mais de désir de faire son travail avec toute la rigueur que cela suppose, lequel est entravé par ces mesures restrictives et paradoxales.
Le sujet, lui, est désigné comme « usager » dont les symptômes sont traqués dans des catégories préétablies (TED, TSA, TDHA, TOC…) lesquelles donnerons le mode d’emploi de la réadaptation à fournir plutôt que de tabler sur le pari de la rencontre et de l’invention du sujet. L’expression de la jouissance, qui toujours se répète, est quadrillée à coup de « fiches d’incidents » ou « d’événements indésirables ». Exit la responsabilité subjective incluse dans le passage à l’acte ! La classification des « besoins » de « l’usager », dans des grilles de tarification de type Sérafin-ph, produit une inflation symptomatique de ce qu’on se donne pour tâche de vouloir réduire. Mais avec la démarche qualité, c’est comme le hamster dans sa roue, lorsqu’on pense en avoir terminé (avec le codage des items) tout est toujours à recommencer.
La fonction d’accompagnement ne renvoie-t-elle pas, pourtant, à un au-delà de la satisfaction des besoins primaires, à quelque chose qui est de l’ordre d’une transmission (subjective)[3] ?
Quadrillage et formatage semblent être les nouveaux signifiants du maitre moderne !
Une forme de lassitude, de la part des équipes pour garder le cap d’une orientation clinique est la conséquence de cette volonté de formatage et gagne aussi les psychologues,
Cela fait vingt ans que nous œuvrons, dans le médico-social pour subvertir cette logique étouffante, d’un point de vue politique en écrivant des articles ou des ouvrages collectifs, et d’un point de vue des « patients » et de leur famille en les informant sur nos conditions de travail de plus en plus dures. Seulement, cette logique mortifère devient progressivement invivable dans nos pratiques. Notre profession de psychologue est malmenée par l’infiltration de politiques « d’ingénierie sociale » qui nous demandent de normaliser les sujets.
Depuis trente ans, les soignants ont témoigné de façon éloquente pour évoquer ce démantèlement volontaire des services public de soin, de l’hôpital… sans succès puisque la pandémie a mis à jour cette politique de casse qui s’est poursuivie avec la suppression de lits.
Que faire face à la surdité maladive de nos gouvernements ?
Quelle pourrait être la solution : rester dans le système et lutter quitte à s’épuiser, ou bien sortir du système en construisant nous-mêmes nos propres institutions ?
[1] P. Viollette, « Le monde change », 22 mai 2006, Comité de Vigilance des CMP et CMPP de l’Ouest, rubrique « éditoriaux ». http://www.vigilance-cmpp.infini.fr
[2] Textes de re-modernisation sociale 2002-2, puis 2005 et 2007.
[3] J. Lacan (1969), « Note sur l’enfant », Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001, pp373-374.
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