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Claudine Valette-Damase

Présentation de l'association du réseau CERPAS. Trois questions à... Claudine Valette-Damase





Le Réseau CERPAS (Centre d’Étude et de Recherche Psychanalytique sur l’Âge et le Sujet), association loi 1901, vise à être une réponse possible aux impasses et à la ségrégation auxquelles les plus âgés d’entre nous sont confrontés ; et ceci en prenant appui sur l’orientation psychanalytique lacanienne qui ouvre la voie à faire de l’impasse apparente, une issue dans le champ de pratiques et de la recherche concernant l’âge et le sujet. Pour cela l’approche inter-disciplinaire est requise pour donner une place à la clinique analytique, à l’étude, à la recherche concernant l’âge et le sujet et à leur diffusion. 


Anne-Sophie Delaleu – Je cite Caroline Doucet : « La naturalisation du monde tend à gagner la médecine. Pourtant la vie humaine, celle du corps parlant, souffrant et jouissant, n'a rien de naturel ». Comment pouvez-vous illustrer ce propos avec la clinique du sujet âgé ?


Claudine Valette-Damase – La clinique du sujet âgé n’est pas propre à illustrer ce propos, elle le démontre cependant particulièrement, tout comme les pratiques en service de médecine notamment où le corps est au premier plan, où le réel du corps  est prégnant. En effet, les personnes que nous rencontrons dans les pratiques aussi bien à domicile qu’en institution sont nommées par le discours médical « polypathologiques » : problèmes cardiaques, insuffisance rénale, troubles cognitifs, insuffisance veineuse… Or, les personnes nous démontrent quotidiennement que rien de ces assignations ne vient dire ce qu’il se passe pour eux dans leur corps. 

Telle dame dit ne pas pouvoir respirer alors qu’aucun signe clinique n’indique quoi que ce soit d’une difficulté respiratoire. Son souffle coupé vient donc dire autre chose. 

Tel monsieur, malgré une soi-disant impossibilité à tenir vraiment debout, escalade pour pouvoir partir…

Tel autre soutient aux soignants ne rien avoir mangé tandis que son assiette est vide devant lui !

Pour le psychologue orienté par la psychanalyse, le corps est d’abord une réalité psychique, alors que pour le discours de la science, le corps est une réalité matérielle. La psychanalyse invente une nouvelle biologie au-delà du clivage entre le corps biologique et l’appareil psychique, distinguant ainsi le corps de l’organisme. 

Avec les enseignements de Freud et de Lacan, le corps – contrairement à celui qui est considéré dans le champ de la médecine qui opère aujourd’hui à partir du corps immobile, fixé par l’image – est corps vivant c’est-à-dire un corps désirant support du plaisir, de la jouissance. 


ASD – Quelles sont les questions, ou difficultés cliniques, que les psychologues rencontrent et évoquent au CERPAS ?


CVD – Actuellement, la difficulté majeure rencontrée est l’envahissement des pratiques à domicile et en institution par l’action conjuguée des outils du management et du discours tout-neuro, qui trouve son fondement dans le corps machine, et engloutit le sujet, et avec lui, sa clinique. Des outils sous forme d’échelles et/ou de questionnaires des troubles du comportement et des troubles cognitifs sont proposés aux patients et aux professionnels pour en évaluer le degré afin de proposer une thérapeutique. À côté de la thérapeutique médicamenteuse, une autre, non médicamenteuse se développe pour entretenir la réserve cognitive, stimuler les neurones, booster ou relaxer le cerveau, par des exercices de mémoire, par des exercices sur le langage et sur la communication, par des exercices corporels et aussi par des séries de recommandations destinées aux aidants familiaux et professionnels. 

Une aide-soignante se rend au domicile d’une dame démente qui ne veut pas manger. Elle suit à la lettre la recommandation des bonnes pratiques qui stipule que pour faire manger une personne atteinte de maladie d’Alzheimer et troubles apparentés, il faut que le professionnel se mette bien en face de la personne et à sa hauteur. Le résultat ne s’est pas fait attendre, l’aide-soignante a reçu une gifle magistrale. En analyse de la pratique, elle témoigne de son impuissance et de sa culpabilité de ne pas y être arrivée.

À moindre échelle, le corps en tant qu’objet de la médecine axe prioritairement l’accompagnement sur le seul versant du soin physique et d’un supposé bien être. S’ajoute l’impératif de sécurité et de maintien d’un maximum d’intégrité physique, le plus souvent de façon infantilisante et au détriment des souhaits des sujets.

À partir de ce repérage, le psychologue clinicien doit se montrer inventif pour frayer un chemin à la subjectivité et ouvrir ainsi la voie à la clinique du sujet.

Une difficulté de cette clinique réside dans le fait de trouver appui sur la clinique structurale, brouillée par la présentation de certains sujets aux symptômes complexes à décoder. De plus, l’accompagnement et le soin très délicats des personnes dites « Alzheimer » contribuent à discréditer les approches subjectives au profit de la sécurisation de l’individu coûte que coûte.

Le diagnostic de maladie d’Alzheimer ou syndrome apparenté tend à recouvrir des réalités subjectives diverses, où la notion de déficit prend le dessus sur ce qu’il se passe pour chacun. Le développement « des thérapies non médicamenteuses », visant « à stimuler les capacités restantes », plutôt que d’accompagner les stratégies de chaque sujet, ou à protéger, parfois contre le gré des personnes n’endigue pas une vision médicale dominante mais renforce plutôt l’objectivation de la prise en charge. Cependant il faut noter qu’aujourd’hui différents établissements font le pari d’ouvrir leurs unités fermées dites « Alzheimer », « protégées », « sécurisées »… Un pas vers un autre regard laissant une ouverture possible… 


ASD – « Pariant sur la dimension créative de l'inconscient, la méthode freudienne est susceptible de soutenir le sujet dans ses dispositions à vivre », dit C. Doucet. Est-ce en cela que réside l'éthique du vivant pour le psychologue orienté par la psychanalyse ?


CVD – Grâce à ce pari qu’est le choix de l’inconscient, le psychologue freudien s’autorise à ne pas rabattre le corps vivant sur l’organisme et le sujet sur l’individu. 

Le psychologue qui s’oriente de l’enseignement de Lacan est d’emblée concerné par l’éthique des conséquences qui oblige à tirer enseignement de sa position dans la pratique. C’est donc cet apprentissage après-coup qui lui permet de repérer les inventions et les trouvailles du sujet et ainsi d’y prendre appui pour l’accompagner.

Une dame ne parle pas, s’accordent à dire les soignants lors d’une transmission, mais certains repèrent qu’elle dit quelques mots, toujours les mêmes et qui n’ont aucun sens. Peut-on dire alors qu’elle ne parle pas ?

Pour accueillir des personnes dites âgées, dont les manifestations pulsionnelles sont au premier plan, qui ne parlent pas, le psychologue trouve à orienter sa pratique grâce à son désir. Il ne cède ni devant le non-sens ni devant l’insupportable qu’est le réel d’une existence qui s’en va.

Pour cela, il peut prendre appui sur la conceptualisation que Lacan opère, poussé par la praxis qui invente à côté et à partir de l’inconscient freudien « trésor des signifiants », l’inconscient réel : le parlêtre et la jouissance. Ces concepts permettent d’accueillir et de lire autrement ce qui se manifeste chez les personnes accompagnées et soignées.


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