Le 14 mai dernier, l’Association des Psychologues freudiens invitait Caroline Doucet à converser autour d’un thème éminemment actuel : l’éthique du vivant. Plusieurs groupes de lecture s’étaient constitués pour l’événement, lui ont posé des questions pointues portant sur la clinique, les repères théoriques et la politique actuelle menée dans le champ médical. Les réponses fines et rigoureuses de Caroline Doucet ont apporté un éclairage inédit pour s’orienter dans notre époque. En voici un écho.
C. Doucet a su démontrer la vivacité et la pertinence de l’orientation lacanienne pour interpréter les discours contemporains sur les soins psy, la place des institutions, et l’accueil fait au symptôme. C’est avec subtilité qu’elle a déployé une façon de savoir y faire en s’appuyant sur des références bibliographiques précises et fouillées. La conférence de Lacan à Bruxelles en 1960 [1] ou encore son interview donnée au magazine Panorama en 1974 ont permis d’extraire des boussoles pour la pratique. Retenons notamment celle-ci : « Les voies par lesquelles procède cet acte de la parole réclament beaucoup de pratique et une infinie patience. La patience et la mesure sont les instruments de la psychanalyse.»[2] Pour cette pratique basée sur le transfert, l’éthique est « conséquentialiste »[3], « il n’y a pas de solution immédiate, mais seulement la longue et patiente recherche des raisons ».[4] C’est pourquoi, plutôt que de considérer le sujet comme un individu dont le symptôme – pris pour un trouble – est à traiter par des experts, « soutenir la continuité de la parole et l’audace de l’énonciation à un autre qui écoute et ne laisse pas passer » est absolument essentiel pour réintroduire le temps pour comprendre.
Ainsi, face à la réduction du sujet à sa naturalisation (causalité biologique, physique et sciences de la nature), l’invitée des Psychologues freudiens a démontré que « le vivant s’appréhende entre cause, position subjective et effet ». Dès lors, si l’on considère que « le symptôme s’ancre dans le singulier », le sujet a à répondre de ce qui lui arrive, il engage sa responsabilité en tant qu’être parlant, y compris face à une maladie qui le touche. C’est en soulignant l’écart entre la demande et le désir, en « faisant vivre la demande le plus longtemps possible » que le Psychologue freudien permet à son patient d’atteindre le « nœud de la vérité ». Alors que les débats actuels font rage autour de la fin de vie, cette soirée a été l’occasion de mesurer combien la psychanalyse a sa place dans le champ de la médecine. « Elle ne peut pas tout contre la pulsion de mort, mais elle peut aider à ne pas céder à un désir de mort ou à un fantasme sadique ou masochiste ». Grâce à des vignettes cliniques, il nous a été illustré en acte, les effets du discours analytique alors que la mort est en jeu.
En ce 14 mai 2024, C. Doucet nous a transmis avec clarté et générosité combien la psychanalyse d’orientation lacanienne offre une respiration, car l’« analyse, c’est le poumon artificiel […] pour que l’histoire continue », nous dit Lacan. Le caractère subversif de son discours a été exposé avec poésie, sans en sous-estimer le tranchant. Nous retenons, pour finir, que l’éthique du vivant est d’abord une position éthique quant au symptôme et à la profession de psychologue, profession symptôme qui ne se loge dans aucun ordre établi.
[1] Lacan J, « La psychanalyse est-elle constituante pour une éthique qui serait celle que notre temps nécessite ? », Bruxelles, 9 mars 1960, disponible sur internet.
[2] Lacan J., « 1974. Jacques Lacan. Entretien au magazine Panorama », La Cause du désir, n°88, mars 2014, p. 168.
[3] Tous les extraits issus de la conversation avec C. Doucet sont mis entre guillemets.
[4] Lacan J., « 1974. Jacques Lacan. Entretien au magazine Panorama », op. cit., p. 166.
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