L’Académie de médecine, au point F du rapport que nous lisons avec attention, fait un état des lieux de la situation française spécifique, dans la perspective de la règlementation européenne des psychothérapies. C’est une situation de crise car la demande de psychothérapie augmente, et les psychiatres sont seuls à pouvoir effectuer des actes remboursés. Partant de ce constat orienté par la mise en lumière d’un impossible, celui de perpétuer la pratique dans le cadre de la sectorisation menacé d’implosion, la solution s’impose : créer une nouvelle offre, à moindre prix, telle qu’il en existe déjà des modèles, en Grande-Bretagne par exemple, où les « troubles légers à modérés » relèvent depuis 2008 de « thérapies psychologiques », financièrement mieux équilibrées.
Loin de s’intéresser à la clinique psychanalytique, présente depuis les années 20 avec la réception de Freud en France, puis rayonnante après la seconde guerre mondiale car renouvelée de fond en comble par l’enseignement de Lacan qui a rayonné pendant trente ans bien au-delà de l’hexagone, la formation qui en est issue et dont les effets continuent d’imprimer leur marque à la clinique est niée, menaçant un fleuron de l’exception culturelle française.
L’invention et la promotion du dispositif « Monpsy », construit sur le socle de la paramédicalisation des psychologues a suscité une levée de boucliers dans cette profession, unissant les cliniciens formés selon les doctrines les plus diverses. Aujourd’hui, chaque praticien, loin de vouloir croiser le fer avec les collègues qui ne partagent pas ses idées, se fait plutôt un devoir de respecter cette précieuse « psy-diversité » et de multiplier ainsi les chances pour le public, chacun pouvant ainsi « trouver son psy », fût-ce après quelques essais et erreurs.
Ainsi la ligne de division si elle n’a pas disparu, s’est-elle déplacée, entre les psychologues qui sont attachés à leur formation telle que, la psychologie s’étant détachée de la philosophie, ses surgeons gardent le sceau des sciences humaines, tandis que la médecine a noué une alliance avec les sciences dures, d’une part seulement, car précisément de l’autre part, et c’est ce qui semble avoir échappé à nos Académiciens, elle s’articule, cas par cas, avec la psychologie, sous ses formes et dans ses orientations diversifiées. Pour préserver cette articulation qui est une chance de respiration, le maintien de l’autonomie des psychologues est donc primordial.
Là est le socle de tous les malentendus, dont on ne peut penser que la seule considération économique, à laquelle chacun est sensible, les résoudront.
En effet, il apparaît que la dignité de la psychologie est bien de ne pas renier son origine. Qu’elle soit clinique ou développementale, la psychologie est toujours une expérience ; la psychologie est une en tant que son champ d’action est celui du discours sur le, ou du psychique, et que ses instruments déploient un ou des discours, un ou des usages de la parole. Dans le champ clinique, cette parole courante, diverse ou singulière d’un qui souffre dans son corps ou dans sa pensée, de maux qui ne relèvent pas des disciplines soignant les corps, dans leur dimension organique, est l’instrument du diagnostic et celui du traitement, elle est le remède aux mots qu’elle a causés. Même et autre, la parole consubstantielle à l’être incarné, si champion de la robotique qu’il se veuille !
Le corps vivant, telle reste l’énigme, l’énigme impartageable : quand les médecins et les psychologues parfois se le disputent, ils sont prompts à se ressaisir !, sachant que le roi Salomon ne viendra pas les départager, et que ce départage est de leur responsabilité.
En marge, en Europe, un réseau existe, lacanien, réuni dans le Champ freudien. Parmi les sept Écoles que compte l’AMP, créée il y a trente ans, une, la NLS réunit des pays européens et d’autres ; en Espagne, en Italie, en France, une École dans chaque pays se porte garant de l’éthique de ses membres. Que l’Académie de médecine les ignore est peut-être dû à leur discrétion. Mais quand cette même Académie de médecine lance que la psychanalyse n’a plus à se produire que dans les salles de spectacle, sur l’écran grand ou petit ou dans les romans, elle n’éclaire pas assez ceux qui croient à son expertise et oblige même les discrets à sortir de l’ombre. Division, disais-je, c’est cela, les psychologues sont divisés en effet aujourd’hui, entre ceux qui pratiquent, depuis le retrait contraint de l’amendement Accoyer qui déjà en 2003 avait failli faire passer une loi règlementant les psychothérapies en France, un lobbying intense, et veulent faire accroire qu’ils représentent « la » profession, et les autres, aujourd’hui unis, désireux de faire entendre aux politiques qu’ils sont un rouage essentiel de notre démocratie.
Plus qu’ailleurs ? Gardons-nous de l’esprit qui toujours nie, et de la lettre qui, devenue chiffre, toujours quantifie. Mais ayons le courage de ne pas reculer devant la diversité des cultures, et des langues qui en sont une des composantes majeures.
Langue maternelle, langue chérie vouée à être perdue ou langue absente pour le plus grand dommage du vivant que ce trou mutile, au profit des langues qui, même quand on les dit maternelle, sont d’exil, comme Serge Cottet l’a démontré dans un article remarquable. Dans ces langues, quelle que soit la manière dont chacune découpe ce qui devient une part de « la réalité » – au moins celle des dictionnaires –, le malentendu règne, interpelant le désir de chacun.e de se soumettre aux lois de la com ou de mettre ces lois en question, et même à la question. Ce malentendu qui nourrit les discordes, est au cœur, au creux de la formation du psychanalyste, profane, comme Freud, médecin de formation, le voulut, et démontra pourquoi. Le maître n’en veut rien savoir, et donc le psychanalyse s’offre à retraiter les conséquences de cette position.
Il le fait dans une langue qui est toujours à traduire et à retraduire, véhiculant ce que chaque vie nouvelle comporte d’inédit, de promesse, d’accomplissement selon des voies imprévisibles, contre le pire.
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