Partie 1: Mon soutien psy, un flop
- Sébastien Ponnou
- 27 avr.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Sébastien Ponnou*, membre des Psychologues freudiens (PF) et professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, rappelle les fondamentaux de la pratique des psychologues. Il répond ainsi point par point aux vues longuement déployées par le professeur Franck Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie au ministère de la solidarité et de la santé, dans un entretien au magazine hebdomadaire L’Express.
Pour permettre au lecteur de saisir la complexité des enjeux actuels concernant l’exercice de la profession de psychologue, les PF publieront en quatre fois l’état des lieux que fait notre collègue, le commentaire continu et les perspectives alternatives qu’il propose au dispositif Mon soutien psy.
Une campagne qui file depuis quelque temps, en lien avec le démantèlement des Centres Médico-Psychologique (CMP).
M. le professeur F. Bellivier engage son propos en argumentant une dégradation de la santé mentale de la population « depuis la crise sanitaire ». Il est certain que la santé mentale des Français s’est considérablement détériorée durant la période COVID – en particulier chez les plus jeunes[1]. Mais cette observation est d’abord l’effet des politiques publiques de confinement engagées par le Gouvernement durant de longs mois – dont le professeur F. Bellivier est largement comptable puisqu’il a précisément pour fonction, depuis 2019, de prévenir et d’orienter les politiques de santé mentale.
Par ailleurs, de nombreux rapports ont documenté de longue date la dégradation de la santé mentale en France[2] : rapport 2016 de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) sur la santé des jeunes, rapport 2016 de l’Inspection Générale de l’Action Sociale (IGAS), rapports de la Cours des Comptes sur l’offre de soin (2021) et sur la pédopsychiatrie (2023), rapport 2021 du Défenseur des Droits sur la santé mentale et le bien-être des enfants, rapport 2022 du Haut Conseil pour la Santé Publique (HCSP) sur les professionnels de santé et l’offre de soin, rapport 2023 et 2025 du Haut Conseil de la Famille et de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA) sur la santé mentale de l’enfant[3]. Ces institutions dénoncent depuis longtemps une offre pédiatrique, pédo-psychiatrique, psychiatrique et médico-sociale en net recul, qui ne permet plus d’accueillir les demandes de soin dans des délais raisonnables et de manière satisfaisante. La situation de l’hôpital et de l’ensemble des acteurs du champ médico-social est altérée, avec des effets délétères sur la santé mentale et le devenir de la population. Autrement dit, la dégradation de la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent est non seulement antérieure à la période COVID, mais elle peut également être interprétée comme l’effet d’un déficit de prise en charge des structures hospitalières, médico-sociales et scolaire, alors que le professeur F. Bellivier - en qualité de délégué ministériel à la santé mentale - en a la responsabilité.
Quant à considérer Mon Soutien Psy comme « une première réponse aux Français atteints de troubles [mentaux] modérés », c’est un peu fort de café !
« Première réponse » ? Certainement pas d’un point de vue historique, puisque la psychiatrie et la pédopsychiatrie contemporaines se sont structurées en France dans les années 1960/1970 via la sectorisation, le déploiement d’institutions hospitalières, médico-sociales et éducatives, qui elles-mêmes héritaient d’une histoire praxéologique, théorique et institutionnelle allant de la psychanalyse à la psychothérapie institutionnelle en passant par les mouvements d’éducation populaire ou d’éducation nouvelle, dont les contributions aux dynamiques de soin et d’éducation des personnes en souffrance continuent d’animer les équipes professionnelles.
« Première réponse » ? Certainement pas du point de vue de l’accès ou du recours au soin, tant le dispositif Mon Soutien Psy constitue un cas d’école et cumule toutes les malfaçons et les maladresses en termes de politiques publiques de santé.
Ne faudrait-il pas plutôt tenir compte de l’histoire, des épistémologies et des spécificités des pratiques de soin en santé mentale en France, et assumer sa part de responsabilité quant aux effets des politiques d’austérité dans les domaines de compétences dont la délégation ministérielle à la santé mentale a la charge ?
Mon Soutien Psy, une déconfiture ?
Le dispositif Mon Soutien Psy mis en œuvre par M. F. Bellivier a d’abord cumulé les déconvenues : absence de concertation, para-médicalisation des soins psychothérapeutiques, problèmes d’adressage et méconnaissance des principes au fondement des psychothérapies, défiance des professionnels, faible taux de recours des patients…
Dès les années 2021-2022, le dispositif est pensé de manière unilatérale et descendante, sans associer les personnes concernées, les psychologues et leurs organisations représentatives, ni les principales institutions du secteur. Le résultat ne se fait pas attendre : levée de boucliers des professionnels, syndicats, associations, universitaires de la psychologie et de l’ensemble des champs psychiatriques, éducatifs et médico-sociaux. Les pétitions et les forums se multiplient, si bien que dès ses premières semaines d’existence, le dispositif appelé alors MonPsy, a mobilisé contre lui des milliers de praticiens, tandis que l’Assurance Maladie peinait à convaincre les professionnels de rejoindre ses listes.
Il faut dire que les coups portés à la fonction de psychologue étaient sans précédent : la mise en œuvre du dispositif était accompagnée d’un avis de l’Académie de Médecine plaidant pour une para-médicalisation du métier de psychologue - sans que cet avis ne soit motivé ni scientifiquement argumenté. La diversité et la pluralité des pratiques au fondement du titre et de la profession étaient battues en brèche pour des motifs fallacieux d’efficacité[4], tandis que le prix des séances était porté à 30 euros, témoignant du peu de considération pour le travail engagé.
Mais le désaveu le plus cinglant est venu des patients : alors que le dispositif ouvert en avril 2022 était censé répondre aux besoins de la population et constituer une « première réponse » à la souffrance psychique des Français, les résultats obtenus après 5 mois se sont révélés particulièrement décevants : au 31 août 2022, 30682 personnes ont eu recours au dispositif Mon Psy auprès de 1813 praticiens, pour un total de 94691 séances. Soit une moyenne d’à peine 3 patients par mois et par praticien, et de 3 séances par patient, témoignant d’une absence d’accroche et de persévérance dans le dispositif[5].
Face à l’échec annoncé, MonPsy devient Mon Parcours Psy, mais le bilan de la première année reste catastrophique - inconsistance qui trouvera un large écho dans les médias. Sur France-Inter :
« Tout est à revoir de fond en comble : un an après, le dispositif Mon Parcours Psy est un flop. Le dispositif Mon Parcours Psy s’avère un immense échec, un an après sa mise en place. Peu de psychologues y participent, la plupart des professionnels le boycottent et très peu de patients ont pu en profiter »[6].
Les publications de ce type fleurissent par dizaines, bientôt relayées par la représentation nationale. Ainsi, l’adresse au ministre de la Santé du sénateur “Les Républicains” Pierre Charon ou de la sénatrice du Parti Communiste Français Laurence Cohen :
« Lancé en avril 2022, le bilan est faible au bout d'un an. […] Cet échec s'explique en partie par le faible nombre de psychologues qui ont accepté de se conventionner […] Dès l'annonce de ce dispositif […] le syndicat national des psychologues (SNP) [indiquait que] "ce dispositif méprise les psychologues [et les conduit] à travailler dans des conditions qualitatives très amoindries […] laissant les personnes les plus précaires […] face à leur souffrance psychique" » [7].
« Un an après son lancement […] le bilan démontre que le dispositif est inopérant. Considérant qu'il n'est ni adapté aux réalités du métier, ni aux besoins des patientes et des patients, une majorité de la profession de psychologue demande son abrogation. [La sénatrice demande au gouvernement d’] envisager l'abrogation du dispositif Mon Parcours Psy et [d’]étudier avec les professionnels de terrain la mise en place d'une nouvelle convention de remboursement, respectueuse de la déontologie des psychologues, des patients et des professionnels »[8].
La deuxième année de Mon Parcours Psy n’est guère plus satisfaisante, et ses écueils encore largement relayés dans les médias. Ces constats d’échec répétés et partagés contraignent les pouvoirs publics à revoir leur copie pour tenir compte des orientations soutenues par les associations de professionnels. Avec le temps, le dispositif s’ouvre aux enfants, la durée de prise en charge passe de 8 à 15 séances remboursées, l’obligation d’adressage par un médecin est abandonnée. Et Mon Parcours Psy change encore de nom, pour devenir Mon Soutien Psy. Au 1° avril 2025, soit après quasiment 3 années d’existence (données datées du 28 février 2025, soit 34 mois depuis avril 2022), le Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles publiait le rapport du Gouvernement au Parlement, et là encore, les chiffres étaient loin d’être probants : 5217 psychologues conventionnés - chiffre contesté par les représentants des psychologues, qui seraient nombreux à souhaiter sortir du dispositif, 586858 patients ayant bénéficié d’un suivi psychologique, pour 3,1 millions de séances réalisées[9]. Rapporté à 34 mois d’existence, cela revient en moyenne à 3 patients par mois et par professionnel, et une moyenne de 5 séances par patient, soit un problème récurrent de persistance dans le dispositif malgré l’allongement du remboursement des soins et des campagnes de promotion intensives. Même le Premier Ministre Gabriel Attal reconnaît l’échec de l’entreprise, et seuls M. F. Bellivier et L’Express, en 2025, chevauchent encore à ce cheval mort.
Les fondamentaux des pratiques des psychologues
Il faut dire que Mon Soutien Psy partait avec un sérieux handicap : au-delà du passage en force et des questions de concertation, le dispositif reposait sur des présupposés et des choix stratégiques très contestables, témoignant de la méconnaissance des fondements des soins psychothérapeutiques :
Le soin psychothérapeutique, s’il peut être orienté, ne peut d’aucune manière être prescrit. La psychothérapie - quelle que soit la formation, la pratique ou la technique du clinicien - est toujours fonction de coordonnées transférentielles qui ne s’écrivent pas sur ordonnance.
Poser la para-médicalisation du métier de psychologue comme condition nécessaire au remboursement relevait à la fois du mépris de la fonction et de ses institutions.
Contrairement aux effets d’annonce, Mon Soutien Psy ne contribue d’aucune manière à la création de l’offre de soin puisque les professionnels intégrant le dispositif doivent pouvoir témoigner de leur expérience dans la fonction - autrement dit être déjà en exercice et contribuer de fait au soin des patients. Il ne s’agit donc pas d’abonder l’offre de soin - qui fait cruellement défaut - mais de la rendre accessible.
La gratuité des soins psychothérapeutiques existe de longue date en France, dans les institutions de référence que constituent les CMP et les Centre Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP), soutenue par un travail pluridisciplinaire et pluriprofessionnel au bénéfice des patients. Dès lors, pourquoi ne pas renforcer en priorité ces dispositifs de première intention, qui ont fait la preuve de leur savoir-faire en termes de soin et d’accompagnement des patients ? C’est ce que suggère le député du Nouveau Front Populaire Emmanuel Fernandes, lorsqu’il fait remarquer au Parlement le 25 mars 2025 que le financement alloué au dispositif Mon Soutien Psy se révèle sans surprise incapable « de répondre aux besoins psychiques réels de la population [mais aurait permis] de financer 2500 postes de psychologues en CMP, permettant ainsi de soulager ces centres et d'offrir une prise en charge réellement gratuite et adaptée pour toutes et tous »[10]. Un mésusage des fonds alloués aux établissements publics et médico-sociaux est d'autant plus incompréhensible que dans son rapport au Parlement, le Gouvernement plaide pour un accroissement du travail en partenariat/réseau, qui est le propre de ces institutions.
Enfin, le dispositif Mon Soutien Psy tel qu’il est pensé par M. F. Bellivier implique une réduction des pratiques psychothérapeutiques aux seules approches standardisées - cognitives et comportementales - excluant de fait la plupart des courants psychothérapeutiques qui constituent une spécificité et une richesse de la culture des soins psychiques en France - de la psychanalyse aux pratiques psychodynamiques et cliniques, en passant par les approches systémiques, les thérapies groupales et familiales, etc. Autant de méthodes de soin dont le libre choix est dévolu aux patients et aux praticiens.
Mon Soutien Psy, dans son principe, aurait pu être une bonne idée - comme il en va généralement de tout accès au droit ou au soin… Mais il cristallise aujourd’hui le malaise touchant aux politiques publiques dédiées à la psychiatrie et à la santé mentale en France.
Pour compléter votre lecture, il suffit de cliquer sur les liens ci-dessous pour retrouver tous les articles:
Partie 2: Une idéologie sous-jacente: Evidence Based Medicine/Pratice et New Public Management des institutions de soin
Partie 4: Psychologues : un titre unique apprécié du public qui y trouve le sérieux d’une formation et des pratiques plurielles, permettant à chacun de choisir son psy.
* Sébastien Ponnou est professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris 8 (Centre Interdisciplinaire Recherche, Culture, Éducation, Formation, Travail - Études Psychanalytiques en Éducation et Formation CIRCEFT EpsyFor - EA 4384). Ses travaux portent sur les questions de psychiatrie et de santé mentale. Il dirige l’Observatoire Épidémiologique et Clinique de l’Enfance et de l’Adolescence : Psychiatrie, Handicap, Protection de l’Enfance (LabCom EOLE). Il est personnalité qualifiée auprès du Conseil de l’Enfance et de l’Adolescence du HCFEA. Derniers ouvrages parus : Ponnou, S. (Dir.) (2025). À l’écoute des enfants autistes : le pari de la psychanalyse. Nîmes : Champ social Éditions ; Ponnou, S., Briffault, X., et Chave, F. (Dir.) (2023). Le silence des symptômes : enquête sur la santé mentale et le soin des enfants. Nîmes : Champ social Éditions. Ponnou, S. (Dir.) (2022). À l’écoute des enfants hyperactifs : le pari de la psychanalyse. Nîmes : Champ social Éditions.
[1] Cour des Comptes (2023). La Pédopsychiatrie : Un Accès et Une Offre de Soins à Réorganiser. En ligne : https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-03/20230321-pedopsychiatrie.pdf ; Gindt, M., Fernandez, A., Battista, M., & Askenazy, F. (2021). Conséquences psychiatriques de la pandémie de la Covid 19 chez l’enfant et l’adolescent. Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, 69(3), 115-120 ; Jones, E. A., Mitra, A. K., & Bhuiyan, A. R. (2021). Impact of Covid-19 on mental health in adolescents: a systematic review. International journal of environmental research and public health, 18(5), 2470 ; DREES. (2021). Une dégradation de la santé mentale chez les jeunes en 2020, résultats issus de la 2e vague de l’enquête EpiCov. Études et résultats, 1210. En ligne : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-10/ER1210.pdf.
Voir également les travaux de Santé Public France : https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/documents/magazines-revues/bulletin-epidemiologique-hebdomadaire-20-mai-2021-n-8-serie-covid-19 ; https://www.santepubliquefrance.fr/surveillance-syndromique-sursaud-R/documents/bulletin-national/2023/sante-mentale.-point-mensuel-5-juin-2023..
[2] Ponnou, S., Briffault, X., & Chave, F. (2023). Le silence des symptômes. Enquête sur la santé mentale et le soin des enfants. Champ Social Éditions.
[3] rapport de l’INSERM Moro et Brison 2016 sur la santé des jeunes - https://www.education.gouv.fr/mission-bien-etre-et-sante-des-jeunes-6518 ; le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) 2018 - https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article735 ; les rapports de la Cour des Comptes 2021 sur l’offre de soin https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-parcours-dans-lorganisation-des-soins-de-psychiatrie et 2023 sur la pédopsychiatrie - https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-pedopsychiatrie ; rapport du Défenseur des Droits sur la santé mentale et le droit au bien-être des enfants, 2021 - https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports-annuels/2021/11/rapport-annuel-enfant-sante-mentale-le-droit-au-bien-etre ; le rapport du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) 2022 sur les professionnels de santé et offre de soins pour les enfants - https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=1247 ; le rapport HCFEA dédié à la santé mentale de l’enfant - https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf... Sans compter les multiples tribunes et alertes des associations de familles et de professionnels du secteur.
[4] Ponnou, S., Briffault, X., & Chave, F. (2023). Le silence des symptômes. Enquête sur la santé mentale et le soin des enfants. Champ Social Éditions.
[5] Sources extraites du Système National des Données de Santé publiées par le HCFEA : rapport HCFEA dédié à la santé mentale de l’enfant - https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf et annexes https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_annexes_13032023.pdf
[7] La déclaration intégrale du sénateur Charon est disponible via le lien suivant - https://www.senat.fr/questions/base/2023/qSEQ230406464.html
[8] La déclaration intégrale de la sénatrice Cohen est disponible via le lien suivant - https://www.senat.fr/questions/base/2023/qSEQ230506733.html