Avec la proposition de loi du 2 mai 2024[1], prétendant porter création d’un ordre national des psychologues, nous constatons la répétition d’une tentative d’imposer un ordre à une profession qui n’en veut pas et qui l’a déjà fait savoir. Est-ce là la raison pour laquelle ce projet de loi a été déposé en l’absence totale de concertation, et même d’information de la profession ?
À l’origine de ce projet de loi, se trouve l’association ACOPsy. Créée en 2020, elle compte parmi les membres de son Conseil d’administration, cinq psychologues sur six orientés par les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et un psychologue social. Ces orientations théoriques et cliniques sont très loin d’être partagées par l’ensemble de la profession. Nous sommes donc là en présence d’une association de psychologues non représentative de l’ensemble de la profession et qui a, seule, décidé d’imposer ses vues aux autres.
L’Article 1 alinéa 2 du projet de loi stipule que « l’exercice de la profession de psychologue comprend les activités d’évaluation, d’analyse, de diagnostic et d’expertise, de même que les activités de prévention, de conseil, d’orientation, de soutien, de psychothérapie, de réhabilitation, ainsi que les activités de formation, de supervision, d’enseignement et de recherche relatives à son domaine de compétence. » L’énumération de ces activités est-elle prescriptive ou indicative des différents types d’activités que les psychologues peuvent avoir ? Autrement dit, un psychologue est-il supposé les exercer toutes ou seulement certaines d’entre elles ? Et dans la seconde hypothèse, lesquelles sont déterminantes quant à la mission essentielle à l’exercice de la profession ? Ces questions sont d’autant plus cruciales que bien des psychologues rejettent vigoureusement les activités d’évaluation, de conseil, de réhabilitation… qu’ils jugent trop normatives dans leur principe même.
Il est par ailleurs difficile de ne pas remarquer que cette nouvelle proposition de loi est contemporaine de la décision du Premier ministre de relancer le dispositif MonSoutienPsy qui paramédicalise la profession des psychologues en inscrivant leur pratique dans le registre de la Sécurité sociale, qui ne traite que des questions médicales et paramédicales. Avec la création d’un ordre, cette profession passerait de la tutelle du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche à la tutelle du Premier ministre. Comment justifier de tels changements de tutelle, sinon par la volonté de soumettre la profession à un gouvernement qui entend la détourner de son usage et de ses principes ?
En outre, si un ordre professionnel a pour fonction d’arbitrer les conflits et de sanctionner les éventuels manquements des professionnels qui y sont inscrits, notons que les conflits entre les praticiens et leurs patients sont rares dans ce domaine et que les juridictions existantes suffisent à les régler et à sanctionner ceux qui doivent l’être.
Notons encore que la prétention de créer les conditions d’un dialogue entre la profession et les pouvoirs publics semble vaine si l’on songe que les syndicats et associations de psychologues remplissent déjà une telle fonction tout en respectant la diversité des orientations théoriques et cliniques des psychologues. L’ordre prétendrait-il ainsi remplacer, pour les faire disparaître, les syndicats et associations de psychologues qui se caractérisent par cette nécessaire pluralité ?
Dans l’hypothèse de la création d’un tel ordre, et vu le refus dont il fait l’objet par les professionnels qu’il prétend encadrer, et qui seraient pourtant contraints de s’y inscrire, comment cet ordre fonctionnerait-il ? Le risque est grand en effet que les candidats aux fonctions représentatives aux niveaux national, régional et départemental soient ceux-là mêmes qui promeuvent la création de l’ordre au détriment de ceux, très nombreux, qui s’y opposent.
Enfin, quelles que soient les protestations de bonne volonté professées à l’alinéa 1 de l’article 1 : « Le psychologue exerce de manière indépendante, dans le respect de la dignité et de la liberté des personnes, les activités de psychologie correspondant à sa formation théorique et pratique », nous ne pouvons que craindre que la création de cet ordre soit une tentative d’orienter la formation des psychologues, de remettre en question leur statut et leur autonomie, d’imposer les références théoriques qui serviront d’étalon aux formations qui leur seront proposées avant et après l’obtention du titre – très loin donc de la diversité des approches qui caractérise les pratiques effectives.
Résultat de l’insistance d’une minorité de professionnels travaillant avec (ou pour) des parlementaires qui prétendent imposer un ordre à une profession qui en récuse le bienfondé, cette proposition de loi serait délétère pour les psychologues, leurs valeurs, et le travail qu’ils font auprès de leurs patients.
[1] Loi n°2587 du 02 mai 2024
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