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Lisiane Girard

Macrologique



En tant que correspondante de l’Association des psychologues freudiens en région, j’ai eu l’occasion de parler à plusieurs psychologues exerçant dans des champs très divers comme salariés ou en libéral aussi bien. Beaucoup avaient une information assez incomplète des différents dispositifs mis en place par le gouvernement nous concernant, et étaient encore moins informés sur le rapport de l’Académie de médecine[1], le rapport IGAS[2] et le projet de loi portant sur la création d’un Ordre des psychologues[3]. Les conséquences – la menace d’une formation initiale des psychologues en faculté de médecine par exemple – n’étaient pas repérées. La question qui m’a été le plus posée lors de ces échanges est : quelle est la logique de cela ?

Voici ma réponse, non-exhaustive :

  • La logique économique a fait effraction dans le domaine de la santé dite mentale. Avec la financiarisation dans les années 80[4], aucun aspect de notre vie n’échappe à cette logique et le champ psy est devenu un marché. Le secteur public peut être alors un frein pour les intérêts privés.

  • Que des intérêts privés puissent se pencher sur le domaine de la santé mentale entraîne un lobbying intensif auprès des décideurs politiques et des hauts fonctionnaires. Ce lobbying s’exerce essentiellement par l’Institut Montaigne[5], think tank [6] néolibéral qui se veut force de proposition dans tous les domaines de l’action politique. L’avantage du think tankest de donner des programmes « clef en main », performatifs. Pour que le lobbying marche il faut faire l’impasse sur les psychologues qui n’utilisent que la parole comme outil (ils ne génèrent aucun profit) et lancer de vastes campagnes de communication en toute « transparence » portant sur les connaissances scientifiques de la schizophrénie, la bipolarité, le trouble du spectre autistique et les dépressions résistantes (sic).

  • L’institut Montaigne est un grand partenaire de la fondation FondaMental[7] qui a répondu à un appel à projet du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche : ils ont co-édité un livre intitulé « Psychiatrie : l’état d’urgence »[8]. Les signifiants-maîtres sont : recherche (en immunobiologie, imagerie, génétique : on voit là l’hypothèse de départ quant à la causalité biologique des maladies psychiatriques), innovation, promotion de thérapies qui ont fait leurs preuves mais pas encore diffusées dans la pratique soignante (réhabilitation psychosociale, éducation thérapeutique, TCC), développement du numérique dans le parcours de soin et dans les applications sur smartphone et enfin homogénéisation des pratiques. Il s’agit pour les patients et leurs proches de gérer la maladie selon un modèle calqué sur la médecine fondée sur les preuves, en « auto-entrepreneur de soi ».

  • Je vous invite à faire un tour sur les sites de l’institut Montaigne[9] et de la fondation FondaMental : regardez la composition de leurs conseils d’administration et autres instances. Vous verrez de grands noms : Bébéar, Rothschild, etc. Que des accointances se fassent avec les groupes propriétaires de cliniques psychiatriques et avec l’industrie pharmaceutique n’est pas pour nous surprendre. Le jeu des influences s’étend jusque dans le gouvernement : Franck Bellivier, ancien Délégué Ministériel à la Santé Mentale et à la Psychiatrie auprès d’Agnès Buzyn puis d’Olivier Véran, vient de la fondation FondaMental.

  • Rajoutez à ceci l’Europe et l’harmonisation des diplômes comme prétexte et vous aurez mon tout : une action violente de l’État à l’endroit du psychologue clinicien dont la mission est de promouvoir l’autonomie psychique de la personne. Il n’est pas question ici de la maladie de l’existence dont nous sommes tous, – parlêtres – frappés, mais de retentissement en termes économiques (arrêts-maladies, allocations adultes handicapés, chômage).

Nous devons lutter contre cet Autre totalitaire, qui veut le bien de l’autre, mais surtout le bien des finances, un Autre inentamé qui sait ce qu’il faut faire et qui applique des réponses algorithmiques selon les profils sans prendre en compte la parole du patient et ni oser une lecture de ce qui se passe pour lui en termes de jouissanceet de désir. Ne déposons pas les armes avant d’avoir livré une bataille au moins. Opposons un désir décidé face à l’anonymat du « pour tous pareils ».

[2]Rapport de l’IGAS, n°2019-002R, « Prise en charge cordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d’évolution », https://www.igas.gouv.fr.

[3]Proposition de loi n° 4055 visant à la création d’un ordre des psychologues – Enregistré à la Présidence de l’Assemblée l 7 avril 2021

[4]On appelle financiarisation de l'économie la part croissante des activités financières (services de banque, d'assurance et de placements) dans le PIB des pays développés notamment. Elle provient d'une multiplication exponentielle des types d'actifs financiers et du développement de la pratique des opérations financières tant par les entreprises et autres institutions que par les particuliers. On peut parler par ailleurs d'un essor du capital financier à distinguer de la notion plus étroite de capital centrée sur les équipements de production.

[6]Cercle de réflexion émanant généralement d’institutions privées, et apte à soumettre des propositions aux pouvoirs publics (définition Larousse)

[8]Psychiatrie : l’état d’urgence, Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca, Fayard, 2018

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