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Karine Soubaigné

Lorsque le cerveau parle, le sujet se tait




Le 1er février dernier, l’association des Psychologues freudiens nous conviait à une conversation intitulée Pas-tout-neuro avec Hervé Castanet, auteur de Neurologie versus psychanalyse.

Cette conversation, emmenée par le propos offensif d’H. Castanet, fut riche d’enseignements.

L’un est de l’ordre du constat plutôt amer du succès de la thèse neuro, notamment à l’université et dans les laboratoires de recherche. La conception matérialiste des troubles psychiques, qui trouveraient leur localisation dans le cerveau, s’est implantée dans les études de psychiatrie.

Un autre enseignement est de l’ordre de l’outil qui peut nous servir à lutter contre la prétention hégémonique du tout-neuro lorsqu’elle s’en prend au domaine de la psyché. Dans son livre en effet, H. Castanet démontre en quoi la thèse neuro, bien qu’elle se donne des allures scientifiques, ‒ hypothèses, expérimentations, études chiffrées, résultats … ‒, n’en est pas moins une idéologie au service d’une conception mécaniste et normative du sujet humain, « au service du silence »[1], dit-il.

Lorsqu’elles prétendent objectiver et expliquer, non seulement les maladies psychiques, mais aussi les émotions, les pensées et les sentiments par l’imagerie cérébrale, ces études ne sont pas uniquement fallacieuses ; elles sont répressives, voire totalitaires. La thèse neuro fait taire, nous dit H. Castanet : elle fait taire le sujet, veut le réduire à son cerveau, le voir rangé sous son trouble, étalonné selon une norme ; et elle fait taire le clinicien dont le savoir est ainsi dévalué.

Le ton est donné : « Mettre en cause les usages actuels des neurosciences nécessite un vocabulaire de combat. C’est notre choix et il sera épistémologique : concepts contre concepts »[2], dit H. Castanet.

Pour lui, ce sont les concepts de la psychanalyse, que Freud a déduits, extraits de son expérience, et que Lacan a revisités, qui seuls permettent de lire et débusquer la « pauvreté conceptuelle »[3] et « les tours de passe-passe des tenants du neuro-réel »[4].

Grâce à l’enseignement de la psychanalyse, nous savons que la pensée n’est pas transparente à elle-même, que le langage n’est pas fait (que) pour communiquer, que la langue est équivoque, que le signifiant n’est pas un signe. Nous savons aussi que le corps ne peut se confondre avec l’organisme, puisqu’il n’est de corps qu’affecté par le langage. Ce ne sont donc pas les traces visibles à l’imagerie, mais celles laissées par le signifiant affectant le corps qui nous troublent, nous émeuvent, nous angoissent.

Le psychologue orienté par la psychanalyse refuse la conception déficitaire et normative de la folie que véhiculent les tenants du tout-neuro. Ceux-ci se réfèrent au programme génétique et à la plasticité cérébrale pour tenter d’englober toutes les activités humaines dans leur champ, mais ils ne peuvent y voir que troubles et anomalies, là ou l’orientation analytique préserve la place de l’invention, et considère le symptôme comme une boussole. Parce que nous sommes des êtres parlants, le savoir est toujours troué, la vérité de l’homme lui échappe, la parole achoppe à dire le vrai. Enfin et surtout, le sujet, s’il est invité à s’identifier à son cerveau, perd sa responsabilité propre, inventive, possiblement heureuse.

Comment l’imagerie cérébrale pourrait-elle rendre compte de cette énigme si magnifiquement articulée par Lacan : « Le langage de l’homme, cet instrument de son mensonge, est traversé de part en part par le problème de sa vérité »[5] ?

[1] Castanet H., Neurologie versus psychanalyse, Paris, Navarin éditeur, 2022, p.25. [2] Ibid., p.31. [3] Ibid., p.135. [4] Ibid., p.157. [5] Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.166.

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