Il y a quelques jours, le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge a dévoilé son rapport sur la santé mentale des jeunes de 6 à 18 ans, intitulé « Quand les enfants vont mal comment les aider ? ». Il nous alerte notamment sur l’augmentation continue de la consommation de psychotropes en population pédiatrique, particulièrement celle du méthylphénidate, molécule recommandée pour l’un des diagnostics les plus fréquents aujourd’hui chez l’enfant d’âge scolaire[1] : le Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH). Entre 2014 et 2021, la consommation de psychostimulants a augmenté de 78,07%[2] !
Les critères officiels pour poser ce diagnostic restent vagues, « des enfants qui ont du mal à se concentrer, qui sont inattentifs, agités et impulsifs, depuis 6 mois, à la maison comme à l’école »[3]. Le Dr Vera, pourtant spécialiste français du TDAH parle d’une « catégorie fourre-tout »[4]. Un grand nombre d’enfants se voient aujourd'hui poser ce diagnostic alors même que leurs manifestations symptomatiques renvoient à des problématiques très diverses. Ce diagnostic, qui s’appuie sur trois types de comportements (hyperactivité, troubles attentionnels et impulsivité) est purement descriptif, il ne dit rien de ce qui cause l’agitation pour un enfant. À partir de quand l’agitation de l’enfant a-t-elle été épinglée sous ce diagnostic de TDAH ? Patrick Landman nous répond que « le regroupement de ces trois symptômes date de la mise sur le marché d’une molécule, efficace à court terme, le méthylphénidate, plus connu sous le nom de Ritaline »[5]. Bien qu’en France, comme dans la majorité des pays européens, les recommandations de traitement privilégient une approche psychothérapeutique, éducative et sociale, réservant la médication aux cas les plus sévères[6], nous observons sur le terrain une réalité tout autre. Pour exemple, le nombre de visites dans les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP) des enfants recevant une prescription de méthylphénidate a été divisé par quatre entre 2010 et 2019, suggérant un abandon progressif du traitement psychosocial du TDAH au profit du traitement médicamenteux[7]. Sur la durée du traitement, nous rencontrons, en institution, beaucoup d'enfants sous traitement depuis plusieurs années alors que les recommandations spécifient clairement des prescriptions à court terme. La durée médiane de la consommation chez les enfants de 6 ans en 2011 était de cinq ans et demi, et jusqu’à plus de huit ans pour 25 % d’entre eux[8]. Dans le SESSAD dans lequel je travaillais, l’accueil de l’enfant à l’école était souvent soumis à la prise de ce traitement. Beaucoup d’enfants se plaignent des effets secondaires, notamment quand celui-ci est administré depuis de longues années, au point que certains parents adaptent eux-mêmes la prescription, bien souvent sans l’avis du médecin prescripteur, en arrêtant le traitement les week-end et les vacances scolaires. Nous pouvons alors nous demander dans l’intérêt de qui nous maintenons un enfant sous traitement aussi longtemps. Jusqu’en septembre 2021, la première prescription de méthylphénidate devait obligatoirement avoir lieu en milieu hospitalier, ainsi que son renouvellement annuel[9]. Pourtant, en libéral, il nous arrive de recevoir des enfants s’étant vu prescrire ce traitement par le médecin généraliste suite à une seule consultation. Le rapport nous apprend que le nombre de généralistes ayant prescrit du méthylphénidate a quasiment doublé entre 2010 (15 318) et 2019 (29 082), tandis que le nombre de leurs prescriptions a augmenté de 221%.
Le méthylphénidate est donc devenu ces dernières années le principal traitement de l’hyperactivité, malgré que nombre de spécialistes reconnaissent qu’il n’est pas un remède curatif. Le Dr Wahl, auteur du Que sais-je de 2019 sur le TDAH, écrit « La Ritaline est un suspensif, pas un curatif : elle suspend les symptômes de l’inattention »[10]. Il peut être utile car il permet d'offrir un répit à l'enfant et à son entourage, mais il ne doit pas devenir le seul traitement, en se substituant à toutes pratiques d’écoute et de parole. Car en endormant le symptôme, on renonce aussi à en entendre quelque chose. C’est à cet endroit-là que la psychanalyse a toute sa place dans les pratiques de soins. Accueillir la parole singulière de l’enfant et de ses parents peut aider un sujet à déchiffrer ce qui lui arrive et lui permettre de trouver des solutions singulières pour mieux se débrouiller dans la vie. Et ça, aucun médicament, aussi efficace soit-il, ne le permet.
[1] Rapport HCFEA, Conseil de l’Enfance et de l’adolescence, « Quand les enfants vont mal : comment les aider ? », mars 2022, p. 49.
[2] Ibid., p.46.
[3] Goldman C., Le Podcast « Critique du TDAH », 8 décembre 2022, disponible sur internet.
[4] Ibid.
[5] Landman P., « L’hyperactivité existe, pas le TDAH », op. cit.
[6] Rapport HCFEA, Conseil de l’Enfance et de l’adolescence, op. cit., p. 50.
[7] Ibid., p. 56.
[8] Ibid., p.51.
[9] Ibid., p.55.
[10] Wahl G., Les enfants hyperactifs (TDAH), Que sais-je ?, 2019.
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