L’association des Psychologues freudiens reprend ses activités. Que vous soyez psychologues en institution ou en cabinet, notre newsletter se veut l’écho des problématiques et questionnements que vous rencontrez dans votre pratique.
Comment répondez-vous aux demandes qui vous sont faites ? Avez-vous choisi d’y répondre ? De vous en décaler ? De les subvertir ? Comment vous y prenez-vous dans vos lieux d’exercice pour transmettre le sel des concepts que Freud a élaborés et faire valoir leur pertinence ? Vous travaillez en tant que psychologues dans des conditions parfois difficiles. Quelle est la particularité de l’éthique freudienne qui vous permet toutefois d’exercer avec sérieux et entrain votre métier ? Sur quoi vous appuyez-vous pour faire entendre la parole de vos patients ? Vos précieuses contributions – d’environ 4000 signes – sont attendues !
D’autre part, nos groupes de lecture reprennent, dans lesquels nous mettons à l’étude l’apport freudien dans l’orientation de notre positionnement en institution. Nous lirons – ou relirons – avec joie plusieurs textes dans lesquels Freud transmet de précieuses boussoles pour notre pratique ainsi que pour notre éthique.
Issus des ouvrages « La technique analytique », « Résultats, idées, problèmes I et II », « Malaise dans la civilisation », « La question de l’analyse profane », « Psychologie des foules et analyse du moi », les « Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse », etc., autant d’ouvrages ou d’articles de Freud que nous vous encourageons à lire ou relire.
Ils permettent en effet de penser le malaise dans la civilisation – qui n’épargne pas les institutions dans lesquelles nous intervenons – et qui n’épargne pas non plus nos patients – aux prises avec des injonctions de plus en plus contradictoires, voire intenables.
Ces textes nous permettent également de mieux comprendre la méfiance – voir parfois le rejet – dont la psychanalyse fait régulièrement l’objet.
Pour comprendre ce rejet, relire « Résistances à la psychanalyse »[1], offre un point d’appui précieux. Dans ce très court et lumineux texte, publié en 1925, Freud s’interroge sur l’origine du dérangement que suscite la psychanalyse. Scepticisme, « résistance intense et opiniâtre »[2], sont le lot quotidien de Freud qui cherche à comprendre pourquoi la psychanalyse a été, dès le début, si mal accueillie. Puis, constate-t-il, « après dix années de silence, elle devint tout d’un coup d’un intérêt général et déchaîna une tempête de réfutation indignée »[3].
N’est-ce pas ce à quoi nous assistons encore et encore aujourd’hui ? À l’heure où l’intérêt général de la psychanalyse s’est montré particulièrement criant ces dernières années, ne nous étonnons donc pas qu’elle soit vilipendée et injustement critiquée.
Dès son origine, alors que la psychanalyse s’appliquait à découvrir la nature des processus psychiques jusqu’alors ignorés ; le sens de ces recherches « n’était pas au goût des médecins de cette génération, formés à n’attacher d’importance qu’à l’ordre anatomique, physique ou chimique. Et c’est parce qu’ils n’étaient pas préparés à reconnaître l’inconscient et ses conséquences qu’ils l’accueillirent avec indifférence ou hostilité. Ils doutaient évidemment que le fait psychique soit susceptible d’un traitement scientifique exact »[4], souligne Freud. « Ils taxèrent de nébuleuses, fantasques et mystiques les abstractions nécessaires au fonctionnement de la psychologie ; ils refusèrent en outre, d’ajouter foi aux phénomènes étranges dont auraient pu partir les recherches scientifiques »[5]. Enfin, ajoute Freud, « ils se contentèrent de classer la diversité kaléidoscopique des phénomènes pathologiques en s’efforçant toujours de les ramener à des causes de troubles d’ordre somatique, anatomique ou chimique »[6]. Freud associe d’une part ces vives résistances à la « dépense psychique que le nouveau exige toujours de la vie mentale. »[7]
D’autre part, il avance une seconde explication très intéressante : si la psychanalyse n’est pas seulement accueillie avec malveillance et hésitation, mais véritablement avec « des éclats d’indignation, de raillerie et de mépris, l’oubli de toutes les règles de la logique et du goût dans la polémique »[8], cela ne peut que faire supposer qu’elle touche quelque chose de fondamental chez celui-là même qui ne la supporte pas. « Pareille réaction nous fait supposer que la psychanalyse n’a pas mis en jeu que des résistances intellectuelles, mais aussi des forces affectives »[9] .
Les forces affectives qui sont profondément bouleversées par ce que découvre Freud sont celles qu’il regroupe sous le terme d’Éros. « Selon la théorie psychanalytique, les symptômes des névroses sont des satisfactions compensatrices déformées de forces instinctives sexuelles dont la libération directe a été empêchée par des résistances intérieures »[10]. Ce que la psychanalyse appelle sexualité renvoie à tout ce qui est du domaine de l’Éros. Ce qui est insupportable aux détracteurs de la psychanalyse concerne donc, souligne Freud, « avant tout, la grande importance, dans la vie mentale de l’homme, qu’attribue la psychanalyse à ce qu’on appelle l’instinct sexuel »[11].
Qu’il puisse y avoir un Éros puissant, qui perdure dans l’inconscient, et qui colore, sous-tend, oriente les choix symptomatiques de nos partenaires – ce que Freud a appelé le complexe d’Œdipe – est, aujourd’hui encore, un fait psychique insupportable pour ceux qui rejettent l’impact de l’Eros dans la vie humaine. C’est pourquoi ses détracteurs s’attaquent à la psychanalyse « comme si elle avait attenté à la dignité humaine.[12]» Les résistances à la psychanalyse tiennent ainsi au fait qu’elle heurte des sentiments humains puissants.
À lire Freud, l’on comprend que les plus grands détracteurs de la psychanalyse sont certainement ceux qui ne peuvent supporter la claque narcissique infligée par Freud à l’humanité : non, le moi n’est pas maître en sa propre demeure ; non, l’être humain ne peut ni tout comprendre, ni tout contrôler, tout maîtriser, de ses propres désirs, pensées, idées… Il y a, en soi-même, quelque chose qui échappe à la volonté, une part obscure, qui agit à notre insu, nous divise, ne nous laisse pas tranquille. « Des pensées surgissent soudain, dont on ne sait d’où elles viennent ; et l’on ne peut rien faire pour les chasser »[13]. Le symptôme est le résultat de ce conflit, ce désaccord interne.
Dès lors, « rien d’étonnant de ce fait à ce que le moi n’accorde pas sa faveur à la psychanalyse et lui refuse obstinément tout crédit. »[14]
Freud poursuit cependant cet écrit avec force et détermination : « Bien que la lutte contre cette nouveauté soit loin d’être terminée, on peut déjà en prévoir l’issue. Ses adversaires n’ont pas réussi à l’étouffer. La psychanalyse, dont j’étais, il y a vingt ans, le seul praticien, a trouvé depuis lors de nombreux partisans, importants, zélés et actifs, médecins et non-médecins, qui en font l’application thérapeutique »[15]. C’est cette ténacité de Freud qui nous inspire et souffle sa persévérance sur nos travaux !
[1] S. Freud, « Résistances à la psychanalyse », Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, 1985, p.123-134.
[2] S. Freud, ibid., p.126.
[3] S. Freud, ibid.
[4] S. Freud, ibid., p.127.
[5] S. Freud ibid.
[6] S. Freud, ibid., p.128.
[7] S. Freud, ibid., p.125.
[8] S. Freud, ibid., p.129.
[9] S. Freud, ibid.
[10] S. Freud, ibid., p.129.
[11] S. Freud, ibid.
[12] S. Freud, ibid., p.126.
[13] S. Freud, « Une difficulté de la psychanalyse », L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, Folio essais, p.184.
[14] S. Freud, ibid., p.187.
[15] S. Freud, ibid., p.126
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