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Jacques Guihard

La psychologie est une rapsodie

Jacques Guihard


Jacques Guihard est psychologue clinicien et psychanalyste. Par le passé, il a eu des responsabilités syndicales régionales pendant plusieurs années au SNP[1], il a été chargé de cours à l’Université de Nantes, cours concernant la réglementation de la profession. Il a également été enseignant à la Section Clinique de Nantes.

Solenne Albert : Merci d’accepter d’éclairer les psychologues freudiens sur les enjeux actuels. Je voulais évoquer avec toi la question de Monpsy, ainsi que celle de la création d’un ordre des psychologues. Les avis sont divergents sur ce point. E. Macron a annoncé sur Doctissimo[2] qu’il souhaitait faire des psychologues des professionnels de santé, ce qui implique probablement une paramédicalisation de la profession et la création d’un ordre des psychologues. Qu’en penses-tu ?

Les psychologues ne sont pas des paramédicaux

Jacques Guihard : Les tentatives de paramédicaliser la profession ont toujours existé. Il y a toujours eu de la part des institutions médicales un désaccord sur ce point. Il y a même eu une époque où il était question que les Masters de psychologie se fassent en Faculté de médecine car il y avait une velléité des institutions médicales à former les psychologues dans les Facultés de médecine, de façon à en faire des paramédicaux. Il y a une volonté de faire entrer en ordre des professionnels qui ne sont pas formés dans leurs universités. Il s’agit bien évidemment des instances médicales officielles et non de nos collègues médecins et psychiatres avec lesquels nous nous entendons généralement plutôt bien.

Mais non, les psychologues sont formés dans des universités de Lettres et de Sciences Humaines et la psychologie est une formation qui est différente de la médecine. Elle repose sur la question du langage et de la parole – donc ce n’est pas une question médicale.

De plus, la dimension « professionnel de santé » ne concerne qu’une partie des psychologues formés à l’université, essentiellement les cliniciens.

Ajoutons que les psychologues ne sont pas des paramédicaux et ne peuvent juridiquement l’être. Dans ce dispositif, le fait de passer par un médecin généraliste (qui est une prescription déguisée) est absurde car ces derniers n’ont quasiment aucune formation en matière de psychologie qui leur permette d’évaluer le travail à entreprendre. Ils ont assez à faire en matière de virus et de maladies somatiques (et ils le font du mieux qu’ils peuvent) pour laisser les questions psychiques à ceux qui sont formés pour cela. Là, il y a un point qui ne passe pas. Cette prescription en excès est l’indice d’une forme d’« impérialisme médical » très ancien qui signe, qu’en France, il faut que tout passe par le médecin.

De plus, à aucun moment la profession n’a été réellement consultée. Comment peut-on valablement mettre au point un dispositif sans écouter les professionnels ? Et, par ailleurs, cette durée uniforme de la consultation, sa rémunération, tout cela ne rend vraiment pas compte de ce qu’est notre véritable travail.

Ce dispositif est plutôt un appel à tous les jeunes praticiens et futurs praticiens qui sont dans une grande interrogation sur ce que va être leur futur professionnel et une grande précarité. On leur dit : « Inscrivez-vous, comme ça vous rentrerez dans le système… Et vous serez intégrés et garantis. »

SA : Tu dis que tu n’es pas surpris de ce qui est mené comme bataille de la part du gouvernement, que ça ne change pas par rapport à des batailles qui ont eu lieu par le passé et où il a fallu tenir bon sur le refus de la paramédicalisation. Qu’est-ce qui, selon toi, constitue aujourd’hui un pas de plus ?

JG : Il y a eu un moment crucial avec la bataille menée contre l’amendement Accoyer.

SA : Oui, c’est à cette époque que l'Association des Psychologues Freudiens (APF) a été créée – sur l’initiative de Jacques-Alain Miller.

JG : Tout à fait, il était à la pointe de la résistance. Accoyer avait plié mais, sur le fond, pas cédé. Il a plié par la mobilisation. Aujourd’hui, ce ne sont pas tant les politiques que les hauts fonctionnaires qui veulent mettre en ordre ces professions qui leur paraissent dans le désordre et incontrôlables. Il y a un vieux fantasme de la bureaucratie qui est que tout soit en ordre, que rien ne dépasse. Les psychologues sont une sorte d’épine dans les pieds du bureaucrate car ils refusent d’entrer dans les petites cases.

Ce qui est en train de se mettre en place vise à créer deux catégories de psychologues. Ceux qui adhérent au système et ceux qui n’y adhèrent pas. Et, si mon analyse n’est pas trop mauvaise, il va y avoir beaucoup plus de psychologues en dehors du système que dans le système. Donc, ça ne va pas fonctionner. Il va y avoir des bugs et c’est là que des négociations vont pouvoir avoir lieu. La difficulté qui va se créer autour de ce système fera que les syndicats de psychologues seront amenés à négocier.

Je suis un farouche adversaire de la paramédicalisation. Tout d’abord, parce que, juridiquement ce n’est pas possible d’être paramédical car, pour cela, il faut être formé dans les facultés de médecine, sous contrôle des médecins. Or, ce n’est absolument pas le cas, nous sommes formés de façon indépendante, dans nos propres structures. C’est là qu’il faut faire intervenir des juristes – cela a déjà été fait – et l’État a reculé devant la paramédicalisation. Le psychologue n’est pas paramédical, il est indépendant. C’est un point important.

La question de la création d’un ordre des psychologues

JG : On nous a toujours dit : « Vous serez reconnus, au niveau de l’État, quand vous aurez un ordre. » Ce qui n’est pas tout à fait juste car la Loi sur le titre, en 1985, est venue corriger cela : il n’y a pas d’ordre mais il y a un titre. C’est-à-dire que n’est pas psychologue qui prétend l’être : il faut avoir le titre. Le titre est venu couper court à la question de l’ordre, du moins momentanément. Mais il faut compter avec la pugnacité des bureaucrates qui remettent ça sur le tapis. D’autant plus que, depuis, ils ont créé l’ordre des IDE (Infirmiers Diplômés d’État), l’ordre des sages-femmes, etc. Toutes les professions à caractère médical ou paramédical ont un ordre. Or, les psychologues, du moins les cliniciens, ne rendent pas de comptes mais font contrôler leur pratique. C’est un contrôle qui est choisi et non un contrôle administratif à qui il faut « rendre des comptes. »

SA : Si les choses nous sont imposées, peut-être n’aurons-nous pas le choix que d’accepter un ordre des psychologues. Faut-il réfléchir à proposer quelque chose plutôt que de se voir imposer un ordre de fer ? Ne peut-on pas se demander : Qu’est-ce que l’on souhaite maintenir mordicus et sur quoi est-ce que l’on peut faire un pas de côté ?

JG : Je te rejoins, il y a une volonté non déguisée de nous l’imposer cet ordre, ça revient, c’est au moins la 3ème ou 4ème fois. L’histoire des psychologues en France est assez récente. L’argument, c’est que la puissance publique doit pouvoir contrôler. Alors, à plus forte raison s’il y a des remboursements. Tout cela se tient. S’il n’y a pas de remboursement, on échappe à tout. Un ordre, c’est aussi pour poser des obligations… et des sanctions. Radié de l’ordre, tu ne peux plus exercer. Et, pendant une enquête, tu peux être interdit d’exercer pendant un mois, deux mois… Interdit d’exercer dans toute institution, cabinet, etc. Donc ça sert à ça aussi, l’ordre, ça sert à sanctionner. Et ce sont tes propres pairs qui agissent. Le Conseil de l’Ordre est composé de collègues élus qui évaluent la situation. Le Conseil de l’Ordre reçoit des plaintes. Donc il faut penser à ça, il y a cette dimension de contrôle de type : « Vous êtes dans les bonnes pratiques ou pas ? »

SA : Quelles sont les autres utilités ?

JG : Il n’y a pas que du négatif, cela peut servir aussi à faire évoluer la profession. Un ordre sert d’interlocuteur aux pouvoirs publics. Bien sûr, il sert probablement aussi à soutenir des professionnels qui ont besoin d’être soutenus par rapport à des plaintes de patients. Le Conseil de l’Ordre des médecins, et celui des architectes – ce sont les deux premiers – ont été mis en place sous Vichy, par le maréchal Pétain. Cela date de l’occupation. Et, quand François Mitterrand est arrivé au pouvoir, il y a eu un espoir dans la profession médicale que cet ordre disparaisse, ce qui n’a pas été le cas.

SA : Il y a une question sur les craintes concernant un ordre – crainte que je porte et qui concerne plus particulièrement l’APF : on peut se demander qui va faire partie de ce Conseil de l’Ordre ? Comme on voit que, de plus en plus, ce sont tous les mouvements scientistes qui ont le vent en poupe, on peut craindre que l’orientation psychanalytique des psychologues soit mal vue ou exclue de ce Conseil.

JG : Pour élargir la question, je pense qu’il faut que la psychologie clinique se range sous le signifiant « clinique » – dont elle est d’ailleurs à l’origine au départ, juste après la seconde guerre mondiale. Car, la clinique, c’est la psychanalyse qui l’a mise en place, en France notamment. Cela s’est un peu dilué. L’orientation psychanalytique pour nous c’est crucial, mais pour d’autres, c’est une orientation parmi d’autres. Le signifiant « clinique » doit nous permettre de trouver des compagnons de route – qui ont cette même orientation : la clinique au cas par cas.

Si la création d’un ordre tombait demain par décret, forcément seraient convoqués les syndicats professionnels, des associations qui ont une représentation sociale – alors peut-être qu’il faudrait demander à en être. À partir du moment où il n’y a plus d’échappatoire possible et que l’on sait que ça va se faire, il faut être prêt à pouvoir dire : « Nous aussi, on a notre mot à dire. »

Je pense que la constitution d’un ordre, au départ, ça se fera par un agglomérat de tendances diverses. Puis, dans les instances, normalement, c’est par élections. Il y a des élections de bureaux, de représentants. Et tous les professionnels payent leur cotisation à l’ordre. Et la représentation locale, régionale, nationale, se fait par mandat.

SA : Tu veux dire que, en principe, cela fonctionne selon un ordre démocratique.

JG : En principe oui, tu votes pour des gens qui se présentent.

SA : Est-ce que tu aurais des idées, pour nous aider à réfléchir, qu’est ce qu’il faudrait que l’on défende ? Qu’est ce qui serait selon toi à dire, si on était force de proposition ?

JG : C’est expliquer – et là je me situe dans le champ des psychologues freudiens et de l’orientation analytique – c’est expliquer ce que nous faisons, parler de notre travail. C’est rencontrer des interlocuteurs à qui on peut parler, qui nous écoutent. En règle générale, les politiques ne connaissent pas vraiment notre travail. Et trouver quelques alliés parmi les politiques, je pense que c’est vraiment fondamental. Ce sont eux qui peuvent porter notre cause. Lors de l’amendement Accoyer, c’est grâce à des députés, qui ont pris la parole à l’Assemblée – qui ont dit : « Ce n’est pas tout à fait comme ça que ça se passe » – que nous avons pu être entendus. Il faut trouver des gens non dogmatiques. Des gens qui sont ouverts à la question de la souffrance psychique.

Je crois que le volet politique est indispensable. Je pense qu’il faudrait que les psychologues freudiens se rapprochent aussi des instances syndicales, et des instances des enseignants de l’Université. Il faut aller discuter avec eux. Je connais le SNP depuis ses débuts. C’était un syndicat qui était très ouvert. Il faut passer par eux. De même que, dans les centrales syndicales, il y a des « branches psychologues », il faut peut-être rencontrer les responsables et essayer de trouver un dénominateur commun.

La psychologie c’est compliqué. Les médecins arrivent à s’entendre sur la question du corps. Les psychologues, c’est complètement éclaté, il y a de tout. La psyché ne fait pas bloc. La psychologie c’est une rapsodie, ça semble partir dans tous les sens. Donc, il faut arriver à trouver des interlocuteurs et trouver un dénominateur commun. L’enjeu est de réussir à se battre pour une profession – et laisser de côté les pratiques. Les pratiques, elles nous concernent chacun. Il y a un dénominateur commun : le titre.

SA : Voilà une première proposition qui est fondamentale : on ne touche pas aux pratiques. Les pratiques de chacun appartiennent au libre choix du psychologue – elles sont extrêmement variées et c’est ce qui fait la richesse de notre profession. Et il faudrait s’accorder pour dire qu’en aucun cas un ordre des psychologues ne doit légiférer sur : quel outil, quel type d’entretien, un psychologue doit utiliser.

JG : C’est sûrement très difficile, mais pas impossible. Entre collègues, on peut peut-être faire entendre ça. C’est beaucoup mieux d’être contrôlé par des collègues que par des fonctionnaires qui n’y connaissent rien.

SA : Ce que le SNP propose serait du côté d’un Haut Conseil, c’est-à-dire pas sur le mode hiérarchique mais plutôt sur le mode horizontal.

JG : Le terme d’ordre, en effet, est compliqué. L’ordre, ça a une signification. Il faudrait trouver un autre signifiant. Mais il n'est pas certain que le législateur accepte que ce ne soit pas un ordre. Ils en sont quand même à vouloir mettre en règle toutes les professions. Particulièrement les professions qui concourent à la santé, voire à la santé mentale. Il y a un fantasme de mise au pas qui est tenace. Je ne suis pas sûr qu’ils cèdent, là, sur le signifiant.

SA : S’il y a un décret qui impose cet ordre, de fait, cela devient-il obligatoire, pour un psychologue qui veut faire usage de son titre, d’en faire partie, d’y adhérer ?

JG : Sauf à être dans des pratiques totalement étrangères, oui.

À partir du moment où un ordre est créé, tous les professionnels qui veulent exercer et faire usage de leur titre doivent cotiser à l’ordre, qu’ils soient d’accord ou pas. Tu n’as pas le choix.

SA : Donc, ça veut dire que ceux qui ne souhaitent pas adhérer à l’ordre seraient obligés de retirer leur plaque de titre de psychologue et de se dire ou psychothérapeute, ou …

JG : Oui, pour l’instant !

Mais les autres professions – psychothérapeutes, etc. – viendront après. Je pense qu’il faut faire du judo : utiliser la force de l’autre. Ce n’est pas facile, mais c’est certainement moins épuisant que de s’affronter. Et je pense que, là, le rouleau compresseur, on l’a en face de nous. Ils ne lâcheront pas comme ça. Donc il vaut mieux anticiper les choses et envisager des contres-propositions. Et essayer de paraître comme une force de proposition.

Rencontrer des politiques, des députés, etc., ça permet de faire passer des discours. Il faut essayer de trouver des portes d’entrée, par le politique. Ça peut commencer par des connaissances qu’on a, des psychologues freudiens qui connaissent un député. Et essayer de leur dire : « Attention, là il y a un gros problème. » Si on est que contre, on ne sera pas écoutés. On veut bien discuter, on n’est pas contre une discussion – mais sur des bases solides. Discuter de qui on est et à quoi on a affaire : on a affaire à des patients qui souffrent et ça ne se résout pas comme ça, à coup de huit séances. Et là, je pense que l’on peut intéresser des gens.

La question d’un doctorat pour les psychologues

SA : Que penses-tu de la question d’un doctorat pour obtenir le titre de psychologue ?

JG : J’ai toujours été favorable au doctorat, dès le début. Je me disais que c’était la condition pour que les psychologues soient sur un pied d’égalité avec les médecins.

J’ai eu la chance, à une époque, de côtoyer un important Professeur de psychiatrie. Tout le monde voulait faire sa thèse avec lui. Il me disait : « Je ne comprends pas : Vos mémoires de 3° cycle sont de bien plus grande qualité que beaucoup de nos thèses de psychiatrie, ils sont bien plus travaillés, bien plus fouillés. » Ce point est important : la formation des psychologues n’est pas inférieure à la formation des psychiatres. Ils sont médecins, certes, mais après leur médecine, ils n’ont pas une formation plus longue que celle des psychologues. Et leurs travaux de fin d’études ne sont pas de plus grande qualité que ceux des psychologues. Il faut que l’on décomplexe aussi !

Un ami psychiatre m’a dit : « Si tu savais, le temps qu’il m’a fallu, pour abandonner ma médecine ! » Il avait vraiment considéré que les études de médecine avaient été un poids dans sa formation de psychiatre, et de psychanalyste, pour réussir à écouter les patients. Donc, on parle à parité. On n'est pas assujettis aux psychiatres. On a autant de compétences que les psychiatres. Je le crois sincèrement. Nos pratiques le démontrent au quotidien.

[1] Syndicat National des Psychologues

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