La psychanalyse, depuis son origine, s’appuie sur des cas cliniques. En 1895, les Études sur l’hystérie[1] de Sigmund Freud et Joseph Breuer sont des études de cas qui marquent le début du traitement psychanalytique ; suivront Cinq psychanalyses, des histoires de cas réunis à la demande de Freud, le premier étant publié en 1905. Freud explique sa position éthique qu’il défendra toujours ainsi : « Je pense que le médecin n’a pas seulement assumé des devoirs envers chacun de ses malades, mais aussi envers la science […] Communiquer publiquement […] devient un devoir, s’en abstenir devient une lâcheté déshonorante[2] ».
C’est ce pari du cas clinique, véritable démonstration de l’opération de la psychanalyse, qui a guidé ma lecture de La différence autistique[3] de Jean-Claude Maleval. Fort de près de 400 pages, cet ouvrage est une mine, et la place conséquente qu’il fait aux cas nous oriente vers la conversation à laquelle il participera le 17 octobre prochain avec ses deux co-auteurs de la brochure sur l’autisme.
Cette orientation clinique est un point que souligne Jacques-Alain Miller dans sa préface. Il écrit que J.-C. Maleval « laisse de côté les théories, il prélève les observations. Il les croise avec celle des psys, psychothérapeutes et psychanalystes, il y ajoute celles des parents, il les complète des témoignages introspectifs des autistes eux-mêmes[4] ».
En effet, dans ce recueil se tissent, avec rigueur, et une à une, les nombreuses observations cliniques issues des auteurs majeurs, parmi lesquels sa place est rendue à Léo Kanner qui a décrit et nommé l’autisme. Ses magistrales observations sont « un véritable bain de Jouvence pour le clinicien [5] », note J.-A. Miller. J.-C. Maleval précise qu’aujourd’hui encore le DSM V se réfère à ces deux caractéristiques majeures extraites par Kanner : la solitude et l’immuabilité. Face à cette clinique marquée par l’épure, le travail de Hans Asperger « fait preuve d’une attention minutieuse aux phénomènes cliniques[6] » et extrait la clinique du regard dans l’autisme. Ainsi ces « deux remarquables cliniciens à qui l’on doit la construction de l’autisme ont dégagé un type clinique[7] » à ne pas confondre avec « l’autisme syndromique, fourre-tout hétéroclite[8] ».
Dans cet ouvrage de référence, sont aussi cités les cas précieux de cliniciens tels « Marie-Françoise » de Rosine et Robert Lefort, « Joey » de Bruno Bettelheim ou « Stanley » de Margareth Mahler mais aussi le témoignage de Laurent Demoulin, père de Robinson. Véritables vues de l’intérieur de l’autisme, les autobiographies de Temple Grandin, Donna Williams et Daniel Tammet notamment, sont articulées à des remarques cliniques précises de Lacan.
Ainsi, la psychanalyse, science de la singularité, élève le cas à la dignité du paradigme[9]. Dans ce « jardin à la française[10] », s’ordonne chacun de ces cas princeps pour démontrer comment le désir est une nécessité[11]. De ce matériel clinique fait d’observations, de cas et de témoignages, J.-C. Maleval déduit avec une grande rigueur une structure autistique. Comme le dit J.-A. Miller : « c’est le concept qui détermine le découpage du trait[12] ». Dans le droit fil de cette éthique clinique, J.-C. Maleval conclut : « La psychanalyse est par essence une étude du cas par cas.[13] » Donnant une place princeps à la différence via ce geste clinique de distinction des cas, J.-C. Maleval fait entendre que « pour ceux qui sont le mieux à même d’en parler, à savoir les autistes eux-mêmes, l’autisme est une différence, et non une maladie[14] ».
[1] Freud S. et Breuer J. (1895), Études sur l’hystérie, PUF, 1956.
[2] Freud S., Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 2008, p. 28.
[3] Maleval J.-C., La différence autistique, Saint Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2021, p. 47.
[4] Miller J.-A., Préface, La différence autistique, op. cit., p. 5.
[5] Ibid., p. 9.
[6] Ibid., p. 10.
[7] Maleval J.-C., La différence autistique, Saint Denis, PUV, 2021, p. 47.
[8] Ibid, p. 46.
[9] Cottet S., « Élever le cas à la dignité du paradigme », en ligne, https://www.lacan-universite.fr
[10] Miller J.-A., Préface, op.cit. p. 11.
[11] Ibid.
[12] Ibid., p. 8.
[13] Maleval J.-C., La différence autistique, op.cit., p. 365.
[14] Ibid., p.45.
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