En 1949, Daniel Lagache publie L'unité de la psychologie [1].Dans cet ouvrage, il cherche à cerner, préciser, rassembler, synthétiser les points qui peuvent faire convergence entre psychologie expérimentale et psychologie clinique. Il s'attache à faire de la psychologie une discipline distincte de la médecine, de la littérature, de la philosophie. Nous lui devons d'avoir rattaché la psychologie à la faculté des lettres, inscrivant par là-même la psychologie dans les sciences humaines. Le risque que nous connaissons aujourd'hui d'une bascule de la psychologie dans le domaine de la santé entraînant sa paramédicalisation donne une actualité pressante aux questionnements de D. Lagache.
L'entrée de la psychologie clinique à la faculté des lettres aura permis à la psychanalyse de se faire une place à l'université. D. Lagache pointe dans un style amusant la dette que la psychologie clinique a envers la psychanalyse : « elle [lui] doit certains raffinements de l'observation comme certaines procédures d'investigation ». [2]
D. Lagache interroge les rapports de la psychologie clinique et de la psychométrie. La psychométrie est du côté du même et du chiffrable, elle vise le résultat objectif et mesurable. En même temps, le test, précise-t-il, ne peut jamais fournir qu'une donnée partielle.
C’est aussi un point très actuel. À l'heure du tout TND, d’une nosographie qui repose sur la conviction que les grandes fonctions cognitives sont testables et évaluables et qu’une vérité diagnostique pourrait se lire dans les échelles de testing, comment pouvons-nous, en tant que psychologues freudiens, nous situer ? Nous ne pouvons pas ignorer non plus que les tests et les formations qui s'y rapportent ont des coûts et alimentent un marché florissant.
Lorsque nous exerçons dans des institutions recevant des enfants et des adolescents, il nous arrive d'être confrontés à l’exigence de bilans normés afin de constituer des dossiers de demande d'aide ou d'orientation vers des structures qui pourront accueillir de façon, nous l'espérons, la plus ajustée possible, la souffrance d'un enfant, auprès de la MDPH. Or, celle-ci écarte tout dossier qui comporterait un compte-rendu clinique sans l’étayage d’une batterie de tests.
Alors, comment pouvons-nous, éclairés par la psychanalyse, trouver un savoir y faire nous permettant de répondre, à notre façon, à ces bilans normés devenus incontournables ? Quels compromis pouvons-nous faire pour ne pas entraver la prise en charge de cet enfant-là puis de cet autre qui ne ressemble en rien au précédent, sans céder pour autant sur ce qui nous semble essentiel ?
Comment venir trouer, dans les institutions, cette croyance qui se fait de plus en plus active, croyance selon laquelle les tests recéleraient une vérité ?
Il apparaît également crucial, dans nos structures de soin, de trouver comment décaler les équipes du « droit à ». Il nous faut pour cela permettre, pour chaque « situation », de peser et de vérifier les aménagements que « le cas » semble nécessiter, pour repérer, grâce à la construction clinique du cas, l’issue la plus favorable pour un enfant et sa famille.
Nous sommes confrontés à un double enjeu : d'une part un enjeu politique lié aux exigences de la MDPH et au leurre d'une vérité qui pourrait se dégager du test, d'autre part, un enjeu éthique pour le clinicien qui entend ne pas céder sur ce qui l'oriente dans sa pratique.
Lisant « La question de l'analyse profane » de Freud, nous pouvons y prélever certains signifiants qui font pour nous boussole. Il y est question d'une « certaine finesse d'oreille », d'un « tact », d’une « exigence d'adresse ». Faire usage de ces précieuses indications nous permet de ne pas élever le test au rang d’un Autre qui sait, un Autre qui pourrait dire la méthode qui viendrait rectifier tel ou tel dysfonctionnement. Les comptes-rendus que nous en faisons, loin de poser des « vérités » chiffrées, se soutiennent d'une analyse clinique solide, étayée.
Un usage restreint peut alors être fait de ces outils qui sont en place de garantir, pour la MDPH, le sérieux de notre opération, sans cesser de garder au cœur de notre pratique la rencontre singulière avec un sujet en souffrance, en difficulté, avec non seulement notre savoir-faire, mais aussi notre désir.
[1] Lagache D., L'unité de la psychologie. Psychologie expérimentale et psychologie clinique, Paris, PUF, 2021.
[2] Ibid., p. 14.
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