Les Psychologues freudiens, sur le qui-vive, ont participé aux 3èmes rencontres sur la santé mentale qui se sont tenues ce mardi 4 juin 2024 à la Maison de la Chimie à Paris. René Fiori et Nathalie Georges-Lambrichs vous informent.
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René Fiori
Les 3èmes rencontres sur la santé mentale ont réuni ce mardi 4 juin 2024, 22 intervenant(e)s, dont :
3 député(e)s – parmi lesquels Chantal Jourdan qui fut psychologue en CMP pendant 20 ans – tous membres du « groupe d’études « santé mentale » de l’Assemblée nationale qui réunit 42 députés,
2 sénatrices,
3 psychiatres-chercheurs, représentant chacun une fondation : FondaMental, Pierre Deniker, Institut du cerveau (hôpital Bicêtre).
des représentants de la MGEN, de l’Institut Montaigne,
et diverses associations et collectifs : Efficience (santé au travail), UNICEF, Association des jeunes pédopsychiatres et jeunes addictologues (JPJA), Nightline France (écoute nocturne pour les étudiants), Collectif Femmes de santé, Biogen France (Entreprise de biotechnologie), Leem (Organisation professionnelle des entreprises du médicament), Alcediag (société de diagnostics).
Le député Éric Poulliat a ouvert la matinée en retraçant l’histoire de MonSoutienPsy depuis les premiers essais pilotes en 2017 dans 4 départements avec le dispositif Ecout’Emoi.
Il a insisté sur le fait que, pour négocier, il y avait lieu de réduire le nombre d’interlocuteurs côté psychologues et qu’en l’état c’était très difficile pour lui, sous-entendu : mettez-vous d’accord sinon c’est nous qui le ferons. Le fondateur de Psychodon, Didier Meilleran, lui a emboîté le pas.
Un psychologue dans la salle a pu rappeler que seuls 6% des psychologues avaient intégré Monsoutienpsy. Il fut bien seul.
Avant de faire état de la question en cours d’un possible Ordre des psychologues, le député a insisté sur l’augmentation desdites « pratiques psychologiques abusives » et des « dérives sectaires en santé mentale », mentionnant un récent rapport sur cette question.
Nous avons appris l’existence :
D’un « Groupe d’études santé mentale », comptant 42 députés.
D’une délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie (DMSMP) dont le secrétaire général, Patrick Risselin, a fait état d’une « feuille de route » dont nous avons consulté les cent vingt-huit pages, lesquelles décrivent un quadrillage de la « santé mentale », toutes générations confondues, qui est irrespirable.
De l’homologation déjà effectuée de 97 381 « secouristes en santé mentale ». La technologie numérique a aussi vaguement été évoquée, par La directrice des « Grands défis numériques Santé mentale et Bien vieillir », ainsi que l’addiction aux écrans par la jeune génération – comme s’il n’y avait qu’elle ! – par la députée du Loiret.
À la lecture de la feuille de route, inquiétante, du secrétaire ministériel, tout cela était manifestement fait pour l’incarner, chacune des interventions venant quasiment correspondre à un chapitre.
Une remarque s’impose, au fil du temps et de l’expansion de la toile bureaucratique de l’HAS/ARS. Cette dernière procède par euphémisations préalables successives : les expériences pilotes d’une fois, et d’abord localisées, deviennent généralisées et imposées.
Lesdites « recommandations » de la HAS sont, elles, en fait, des injonctions que reprennent à leur compte les ARS pour homologuer leurs projets. Le numéro Adeli, de facultatif, devient obligatoire. Enfin l’embauche de psychologues en CMP, qui semble ouverte sans autre précision, concernera, n’en doutons pas, ceux qui seront considérés comme experts, pour tel ou tel projet (autisme, obésité, schizophrénie, tel trouble dys, etc.)
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De quoi SantéMentale est-il ou elle la métaphore ?
Nathalie Georges-Lambrichs
Je prends le parti de geler le substantif et son épithète en un, tel qu’il a été installé aux commandes de la « troisième rencontre sur la santé mentale », mardi 4 juin dernier. Pour FondaMental, ou encore l’institut Montaigne, le doute est forclos et la SantéMentale existe, elle est le nom d’un droit pour les Françaises et les Français.
C’est donc ce signifiant qui est aujourd’hui l’agent dans le discours du maître.
Ce matin-là, à la maison de la Chimie, quatre tables rondes en ont exposé des guises peu variées. À deux reprises, ce discours s’est articulé au discours de l’hystérique moderne, prête à se faire l’instrument de la démonstration du savoir du maître. L’une témoigna comment, à partir de son vécu d’une dépression post partum qu’elle éleva à la dignité d’une expérience elle quitta la fonction publique pour se risquer dans une entreprise en lien avec son nouveau savoir-faire. L’autre, très engagée dans la politique en faveur du vécu spécifique des femmes quant à la « santé sexuelle et la reproduction » a introduit son propos par le souvenir d’une pensée qui l’avait traversée lorsque, tenant son nouveau-né dans les bras et s’étant approchée de la fenêtre, soudain, la possibilité d’un passage à l’acte l’avait effleurée. Mais non, ce possible ne l’était pas, affirma-t-elle, elle en était sûre désormais.
Trois heures trente de rang, le sociologue Serge Guérin appela les conférenciers à prendre la parole et retint les ardeurs du public, le retard de la montre faisant rapidement la loi. Par quelle divination la phrase suivante s’imposa-t-elle à lui, au moment même où je me disais in petto que le sujet était une réponse du réel en souffrance, attendant qu’on le questionne de la bonne façon, je le cite : « L’idéologie, c’est quand on a les réponses avant les questions » ? L’ironie de cette phrase censée justifier l’absence d’échanges avec le public sembla ne faire mouche que pour René Fiori et moi.
En dépit du long feu que fit cette coïncidence, je ne pus donc rappeler :
que les psychologues, souvent cités, étant formés en sciences humaines, n’étaient pas un personnel paramédical ; que s’ils s’étaient trouvés nombreux inscrits sur le répertoire Adeli c’était pour ne pas faire de vagues, ce qui est sans doute une erreur, puisque cette formalité administrative menace de se transformer en devoir selon la loi ;
que leur diversité étant une richesse et non un inconvénient, la psydiversité méritait d’être inscrite au patrimoine de l’humanité ;
que la « libération de la parole », invoquée comme un bienfait levant de fâcheux tabous, avait un envers de dévastation qui devait inciter à la prudence ;
ni rien dire des raisons qui nous opposent fermement à la création d’un ordre professionnel.
Rien, sinon constater l’urgence de nous unir pour résister par les moyens qui sont les nôtres à cette lame de fond que Jacques-Alain Miller avait vu venir dès le lendemain de l’amendement Accoyer, à couvert d’un irrépressible besoin d’évaluation supposé sourdre des tréfonds du peuple français, excipant de la bonne volonté d’éradiquer les charlatans de l’espace social. Rien sinon constater que SantéMentale n’était que la métaphore de ce Rien dont nous savons beaucoup, grâce à Freud et au Séminaire VII de Lacan, et dont nous entendons bien préserver la place dans la topologie qui informe nos pratiques.
SantéMentale est la métaphore d’un pouvoir d’experts inféodés à une idéologie scientiste, porteuse de « peut-être » faussement modestes, destinés à intimider la parole du sujet et à le faire se dessaisir de sa responsabilité présente au profit d’une haute Autorité supposée savoir son bien futur et les moyens d’y parvenir. Imagerie cérébrale, examens de sang pour y traquer les mitochondries, petites particules supposées « peut-être » opérer dans le cerveau des dysfonctionnements et des troubles que la chimie future aurait « peut-être » les moyens de corriger…
[1] Cf la brochure des Psychologues Freudiens, Quelle place pour la parole dans la clinique d’aujourd’hui ? (2018)
[2] Mr Poulliat oublie peut-être qu’il y a onze groupes politiques représentatifs à l’Assemblée Nationale, et que si cette injonction venait à être proférée dans ce cadre, elle aurait un nom. Choisissons celui de « totalisme », avancé par une géopoliticienne, pour qualifier celui de notre époque
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