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Nathalie Georges Lambrichs

Développement : un nom de notre souci






Point de départ : la proposition faite aux Psychologues freudiens de faire cas de la psychologie, discipline dans laquelle ils se sont formés, entre autres, à l’intérêt de remettre à sa juste place l’évidence selon laquelle l’adulte est la résultante du développement de l’enfant qu’il n’est plus. Cette évidence a beau être absurde, elle nous colle comme une tique à la peau d’un chien. Nier le développement serait donc absurde. S’intéresser au discours dans lequel il a cours a, au contraire, tout son intérêt.

Je veux dire un mot des CMPP, par le truchement desquels des traitements freudiens des méfaits causés par les normes développementales ont été mis en œuvre.

« Rappeler l’histoire des CMPP qui remonte à l'après-guerre, époque à laquelle est créé le premier de ces centres dénommé Centre Psycho-Pédagogique. La place de la psychanalyse ainsi que celle de la pédagogie sont inscrites dans ce premier centre. Par la suite, d'autres structures se veulent plus médicalisées et s'appelleront Centres Médico-Psychologiques.

En mars 1946, Georges Mauco, psychanalyste, se voit confier le soin d’ouvrir le Centre Claude Bernard à Paris. Le financement est assuré en partie par le Ministère de l'Éducation Nationale, en partie par les services de l'Enfance et de l'Hygiène Sociale.

Deux ans plus tard, Juliette Favez-Boutonnier, Maurice Debesse et Daniel Lagache, professeurs à l’Institut de Psychologie de Strasbourg renouvellent l’expérience parisienne en province. C’est au mois de juin 1948 que le Centre Psycho-Pédagogique de l'Académie de Strasbourg, commence à fonctionner.

Il existe aujourd’hui plus de 300 CMPP en France »[1].


L’auteur de ces lignes ne dit pas « il existe encore aujourd’hui plus de 300 CMPP en France », mais nous savons, grâce à l’article de Claire Ballongue paru dans notre newsletter il y a 18 mois, consultable sur le site de l’association[2], que les CMPP font l’objet d’une âpre lutte d’influence de la part des promoteurs du tout neuro[3].


Rappel entre au moins deux lapalissades

Les parents, premiers éducateurs de leurs enfants, et tous les autres éducateurs qui s’ajoutent à eux sont mis en demeure par la société de veiller au développement de l’enfant. L’issue de ce développement sera plus ou moins conforme aux normes sociales.

Voilà qui n’est pas tout à fait une lapalissade. Plutôt un énoncé qui a le mérite de décrire simplement un état de fait. Pourtant, le fait que cette description soit lisse ne la rend pas douce : elle ne tombe pas du ciel. Elle est aussi une prescription. C’est donc un énoncé complexe car nul n’ignore qu’une prescription tient de l’ordre, et que l’individu qui se fait prescrire quelque chose n’est pas automatiquement, ni même nécessairement d’accord avec ce qui lui est prescrit.

De plus, cet énoncé, autre lapalissade qui cache un continent de complexités, est fait de mots. Ces mots, lorsqu’ils sont prescrits, sont ceux du dictionnaire supposé faire connaître à chacun l’usage correct des mots de la langue, qui ont un sens. Ils « veulent dire quelque chose », mais quoi ? Déjà en ce point, quiconque a ouvert un dictionnaire n’ignore pas que de même qu’il y a, entre la chose et le nom supposé la désigner, des abîmes de malentendus, il y a, pour un seul mot mille et une manière d’en concevoir non seulement le sens, mais aussi l’étymologie, sans parler de la manière dont il s’accommode de diverses expressions dans lesquelles on le retrouve[4]. Voilà que surgissent l’enseignement et la pédagogie qui en est l’ombre moderne, ainsi que la linguistique qui n’ont pas dit leur dernier mot. Quant à la psychologie, peut-elle œuvrer en les méprisant ?


Compromis n’est pas compromission

Au siècle dernier, la discipline freudienne a ainsi passé un accord de compromis avec l’enseignement et la pédagogie. Avec Freud, tel que Lacan l’a reçu, lu et commenté pour nous pendant près de trente années, nous savons qu’un symptôme est un compromis, c’est-à-dire une manière d’accord boiteux, qui convient faute de mieux et surtout contre le pire.

Contre le pire : n’est-ce pas d’ailleurs pour nous une devise ?

Le pire aujourd’hui nous semble lisible dans la déferlante des normes qui font fi du compromis. C’est en quoi elles sont ravageantes.

Les normes sont développementales et comportementales. Elles forment un code, singeant celui des bonnes manières.

Code pour code, c’est une occasion de rappeler le nôtre qui est de nous fier à ce qui, à partir du plus singulier, est susceptible de faire série. Ce n’est pas sans lien avec le développement qui hante le domaine de l’enfance, comme le bon sens la philosophie. Qui voudrait qu’un nourrisson ne se développe pas ? Tout un chacun est à l’affût de la manière dont ce nouveau petit organisme prématuré se manifeste et, surtout, « évolue ». Là, le champ de l’interprétation s’ouvre. Qu’il se referme ou se refuse, c’est la déréliction absolue.

Des théories, des observations s’ensuivent, à foison. La psychanalyse même, avec la fille de Freud, Anna, a voulu prévenir des risques, et instituer une pratique réparatrice des effets du trauma.

Aujourd’hui, l’horizon s’obscurcit : on y entend la volonté du maître de promouvoir des protocoles anonymes, des agents interchangeables chargés de les administrer, d’en lire les résultats et de reverser ceux-ci dans les lieux où ils seront traités en vue de l’amélioration de leurs items. L’hypothèse de l’inconscient est bannie des dispositifs publics. La pratique des psychologues est menacée de devoir collaborer à ce new age, y compris dans son exercice libéral. Des carottes sont agitées : les psychologues vont bientôt pouvoir prescrire, il est donc évident qu’ils doivent s’organiser, se doter d’un ordre, à l’instar des médecins et de tous les paramédicaux qui se respectent.

Ironie : le sujet, celui que le langage recèle, que la langue révèle dans sa singularité absolue, est en passe d’être plus libre que jamais, c’est-à-dire livré à un « lui-même »… qui n’existe pas !

Il y a danger, « péril en la demeure », je reprends ici le titre d’un colloque du Cien[5] qui s’est tenu le 24 septembre 2022 à Alligny en Morvan et m’a beaucoup appris.


Donc nous lisons, à plusieurs, Piaget, pas sans Politzer ni Vygostki. Le premier a connu un engouement considérable. Qu’en reste-t-il ? Les deux suivants l’ont critiqué, au nom du concret. En cela, nous les tirons du côté de Lacan, dont nous savons que, concret, il ne cessa de l’être, jusqu’au point de manipuler des cordes pour en explorer les manières de se nouer ! Rien qui tienne mieux qu’un nœud, mais quel nœud ? Comment un nœud écrit-il le compromis de Réel, d’Imaginaire et de symbolique qui fait exister, ex-sister un sujet devenu un parlêtre – néologisme qui dit bien qu’il n’est d’être que parlant, parlé ou parlottant ?

[1] « CMPP. Qui sommes-nous ? », disponible sur internet. [2] Ballongue C., « Un cahier des charges pour les CMPP de Nouvelle - Aquitaine et ses conséquences », disponible sur internet. [3] « Soirée PAS-TOUT-NEURO avec Hervé Castanet », disponible sur internet. [4] Une de ces 20 histoires de psychanalyse avait trait au mot bizarre ; de mémoire la 16ème, mais si je me trompe, c’est l’occasion de les réécouter toutes. Disponible sur internet. [5] Institut de l’enfant, disponible sur internet.

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