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Victoria Ailloud-Perraud

De la défectologie à l'inclusion à tout prix, dans le champ de la déficience intellectuelle. Partie 2 : l'idéologie inclusive en perte de sens.






C’est à travers la conception dynamique du développement de l’enfant de Lev Vygotski, que j’ai dépliée dans la première partie de mon texte, que la question de l’inclusion sociale et donc scolaire des enfants déficients est abordée. Celle-ci mêle affectivité, intelligence et liens sociaux. Ainsi, selon cet auteur, scolariser les enfants handicapés et/ou déficients permettrait cette compensation par le haut et lutterait contre l’exclusion, le défaut de socialisation et ses conséquences secondaires.

Vygotski nous parle de son point de vue d’observateur et de chercheur en développement. Il s’intéresse au développement en référence à une norme, en situant d’un côté le développement normal et de l’autre le développement pathologique. 

Même si cette démarche est particulièrement intéressante, compte tenu aussi du contexte théorique de l'époque dans ce domaine, en tant que Psychologues freudiens nous ne nous situons pas tout à fait dans cette orientation, dans la mesure où notre démarche n’est pas éducative ou pédagogique. La théorie de Vygotski, en mettant en continuité le social et le psychologique, ne permet pas de distinguer à proprement parler le sujet de l’individu. Pour autant, elle n’est pas sans nous interpeller, notamment quant à la place qu’il donne au lien à l’autre, lien qu’il pose comme condition fondamentale du développement des compétences. J’ai déjà souligné son intérêt pour la manière dont l’enfant fait avec son handicap, son savoir sur la manière de faire avec celui-ci. En ce sens, il lâche quelque chose de la place de sachant, qu’il remet au crédit des enfants qu’il observe et dont il apprend. Il est ainsi un précurseur de la question de l’inclusion scolaire, thématique particulièrement au goût du jour en institutions. 

Or, c’est cet idéal social de l’inclusion scolaire qui semble être aujourd’hui porté au paroxysme. Celui-ci n’a plus grand chose à voir avec la pensée vygotskienne dans la mesure où ceux qui sont supposés le mettre en œuvre sont invités à centrer leur intérêt sur les compétences et les capacités cognitives, sans chercher à tisser un lien avec les enfants qu’ils prennent en charge. Certains enfants très en difficulté dans le système scolaire ordinaire se trouvent, parfois, maintenus à l’école alors même qu’ils sont en situation de grande souffrance, en échec au niveau des apprentissages et/ou exclus de et par leur groupe de pairs. Certains de ces enfants finissent par être orientés dans des établissements spécialisés comme les IME (Instituts Médico-Éducatifs). Psychologue au sein d’un de ses établissements, j'observe que l'arrivée de certains adolescents ne se fait qu’après des mois d’isolement au collège ou à l’école, sans avoir noué de liens avec leurs pairs. Certains jeunes changent d'établissement scolaire au gré de leurs exclusions disciplinaires, ou sont déscolarisés durant plusieurs mois, trop angoissés pour aller en classe. La souffrance à laquelle ils font face, faute de pouvoir être entendue, s’exprime ainsi par différents moyens tels qu’ici l'isolement, des « comportements inadaptés » ou encore une hétéro-agressivité. L’idéologie tendant vers la recherche d’inclusion sociale pour les sujets laissés en marge, est ainsi transformée en injonction perdant de son sens jusqu’à devenir paradoxale. En cela elle crée de l’exclusion. 

À l’heure où le discours en institutions médico-sociales tend à se faire injonction à l’inclusion scolaire et sociale, il est bien intéressant de se replonger dans les apports des théoriciens précurseurs de ce courant de pensée. La question de l’inclusion scolaire chez Vygotski s’inscrit dans un contexte social et politique bien différent de notre contexte actuel. S’il promeut l’inclusion des sujets déficients, c’est d’abord parce qu’il a repéré l’importance du lien à l’autre dans l’évolution des enfants. Il se base sur des observations et prend en compte le savoir de ces sujets. S’il parle de « compensation par le haut », n'est-ce pas en réponse au discours de l’époque, qui situe les déficients comme incurables ? Vygotski avait laissé de côté la question du défaut pour s'intéresser à l’enfant. La reprise de sa pensée semble aujourd’hui bien épurée, voire dénaturée. La visée dialectique de l’éducation, centrale chez cet auteur, semble aujourd’hui réduite à un interactionnisme cognitif, à une « cognition froide » [1] dont les effets dévastateurs doivent être pris en compte.

J’espère, en écrivant ce texte, susciter d’autres contributions de la part de cliniciens intervenant dans ce champ, autrefois nommé de la débilité, aujourd’hui trop peu documenté et particulièrement pris dans le discours du « tout neuro » entraînant des conséquences directes sur la prise en charge des sujets dits déficients. 


[1] Rochex, J. (2017). Vygotski : une conception dialectique du développement. La Pensée, 391, 50-64, disponible sur internet.


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