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Approche psychiatrique et approche psychanalytique : quelles différences d’après Freud ? Partie 2

Victoria Ailloud-Perraud





Depuis plusieurs années, du fait des avancées et de la promotion des neurosciences, nous assistons à un retour en force de la vision organiciste du psychisme. Un discours tout neuro se diffuse en psychiatrie, mais aussi au sein des institutions médico-sociales et de l’éducation, ce qui n’est pas sans effet sur les sujets. Dans la prise en charge des enfants et adolescents notamment, le recours à la solution médicamenteuse est en dangereuse augmentation, comme en témoigne le rapport du Haut Conseil de l’Enfance de la Famille et de l’Âge[1], alors même que, pour les enfants et les adolescents, le recours au médicament n’est préconisé qu’en seconde intention, après la psychothérapie ou encore l’accompagnement éducatif et social.

D’autre part, travaillant en IME, je constate que le modèle théorique de référence quant aux difficultés et particularités des jeunes pris en charge se veut, là aussi, de plus en plus organiciste et déficitaire. Ceux-ci sont en effet diagnostiqués comme atteints de « troubles du développement intellectuel » eux-mêmes considérés comme des « troubles du neurodéveloppement ». Les « recommandations des bonnes pratiques » de la Haute Autorité de Santé (HAS), qui se basent sur cette classification, sont le modèle de référence quant à l’accompagnement institutionnel de ces sujets. Celles-ci prônent une prise en charge rééducative des dits « troubles » en se concentrant sur la remédiation cognitive. Il s’agit ainsi, pour les professionnels, d’accompagner ces jeunes à se rapprocher de la norme, notamment en ce qui concerne les apprentissages ou encore leur lien à l’autre.

Au sein des institutions médico-sociales, ces « recommandations » sont bien souvent confondues avec des injonctions. L’effet principal de cette confusion est une appréhension de plus en plus univoque des difficultés des jeunes et donc de leur prise en charge. Le déficit neurologique étant affirmé comme la source de tous les maux, la place accordée à la parole, au langage, et aux symptômes se réduit de manière drastique. Les personnes accueillies au sein de ces institutions sont donc de moins en moins invitées à dire ce qui se passe pour elles, mais plutôt à se conformer aux attentes institutionnelles et sociétales.

Pourtant les signifiants utilisés par la HAS laissent entendre le manque et l’humilité de la science sur laquelle ces préconisations se basent. Il est ainsi question de « facteurs de risques »[2] concernant le développement des TND. Parmi ceux-ci : la prématurité, les anomalies-accidents-affections cérébrales, la génétique, l’exposition à un toxique, … ainsi que certaines « circonstances environnementales », telles que la vulnérabilité socio-économique et psychoaffective[3]. La HAS n'exclut donc pas l’impact de « l'environnement » sur les dits troubles du neurodéveloppement. Ces résultats scientifiques ne révèlent pas un lien de cause à effet certain entre ces facteurs de risques et les TND, pas plus qu’ils ne prétendent expliquer l’ensemble des difficultés rencontrées par les enfants. Il y a donc un écart entre la réalité des avancées des neurosciences et le discours qui situe ces avancées comme  l'explication et la solution à toutes les difficultés de la vie psychique. D’ailleurs, certains chercheurs en neurosciences interrogent et critiquent ce décalage[4].

Tout comme Freud, il ne s’agit pas de nier l’existence d’affections organiques et leur impact sur la construction psychique et la vie des personnes concernées. Néanmoins, en tant que psychologues orientés par la psychanalyse, nous ne pouvons que rappeler qu’un sujet ne peut se résumer à son organisme. Les neurosciences n’expliquent pas tout et chaque sujet a quelque chose à dire de ce qui lui arrive.  L’approche psychanalytique situe ainsi le savoir du côté du sujet.


Comme l’indique Freud dans son article[5], il n’y a pas d’opposition radicale entre la vision héréditaire de la psychiatrie de son époque et l’approche psychanalytique. Il indique : « Vous m’accorderez qu’il n’y a rien, dans l’essence du travail psychiatrique, qui pourrait se dresser contre la recherche psychanalytique. Ce sont donc les psychiatres qui s’opposent à la psychanalyse, et non la psychiatrie. [...] Une contradiction entre ces deux sortes d’études, dont l’une est la continuation de l’autre, n’est guère pensable »[6]. D’ailleurs, c’est grâce au développement des neuroleptiques pour traiter les symptômes les plus graves de certains sujets psychotiques, que ces patients ont pu accéder à une approche psychothérapeutique au sein de l’hôpital psychiatrique.

Face au retour d’une conception déficitaire et organiciste du psychisme humain, les psychologues orientés par la psychanalyse ont un grand rôle à jouer. À la manière de Freud, nous pouvons miser sur le caractère subversif de sa découverte pour venir trouer le discours tout neuro en questionnant les certitudes concernant le fonctionnement humain. En effet, la théorie psychanalytique produit plus d’interrogations que de réponses. Freud indique d’ailleurs qu’il ne s’agit pas de « susciter des convictions »[7], mais bien de « fournir des incitations et d’ébranler des préjugés »[8].




[1] Haut Conseil de l’Enfance de la Famille et de l'Âge, 2023, « Quand les enfants vont mal, comment les aider? », disponible sur internet.

[2] HAS, « Troubles du neurodéveloppement - Repérage et orientation des enfants à risque », 17 mars 2020, disponible sur internet.

[3] Ibid.

[4] Gonon F., Neurosciences : un discours néolibéral ? Psychiatrie, éducation, inégalités, Nîmes, Champ social, 2024.

[5] Freud S., « Psychanalyse et psychiatrie », Leçons d'introduction à la psychanalyse, Paris, PUF, p. 249-264.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

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