Lien social.
Printemps 2021
Association des
psychologues freudiens
Présentation
L’ensemble des textes de ce recueil prolonge les réflexions de ceux qui ont été publiés dans Lacan Quotidien N°930, à la suite du Forum du 27 mai « Arrêtons l’arrêté » organisé par l’Ecole de la Cause Freudienne. La proscription de la parole confirmée par le texte de l’arrêté, dans la continuité des recommandations de la HAS, alerte sur la dégradation en cours de la clinique et le délitement du lien social qui s’ensuivraient, si Freud devait tomber dans l’oubli
EDITORIAL
É-MOTION
René FIORI, Vice-président des psychologues freudiens
L’arrêté – celui du 10 mars 2021 – a donc produit un contre-coup : le mouvement, celui qui a gagné les « praticiens de la fonction symbolique », une é-motion, dans son sens premier, dont témoigne chacun des auteurs des textes ici rassemblés. La question posée est celle-ci : une fois que les autorités administratives et autres officines auront séparé le penser du faire dans le travail imparti aux praticiens, que deviendra leur faire, ou comme le dit Lacan du potier, leur « poiésis » ? C’est depuis un certain nombre d’années déjà que celui qui travaille en institution l’expérimente. La première conséquence en est la lente dégradation ou la disparition de ses instruments, le langage et la parole, au bénéfice des tests, des formulaires, et des reporting informatisés, et les protocoles.
Tout a commencé au début du siècle avec le bien nommé Taylor (Frédéric Winslor). Taylor, c’est-à-dire celui qui taille, le tailleur, mais ici pour l’occasion, de profession ingénieur. Nous lui devons, si l’on peut dire, d’avoir introduit le « taillage » entre le penser – Lacan dirait le savoir – et le faire, dans les organisations de travail dans l’industrie alors naissante. Depuis, la méthode a séduit au-delà de toute espérance et gagné tous les secteurs et leurs dirigeants les uns après les autres, qu’ils soient du privé comme du public. Le savoir, c’est-à-dire : le où, le quand, le comment, le pourquoi, le combien, le avec quoi, le combien de temps, etc., relèvent depuis d’une autre hiérarchie bien spécifique.
Dans cette perspective historique-éclair, le texte de l’arrêté, paraphé par le ministère des solidarités et de la santé et le ministre délégué auprès du ministre de l’économie des finances et de la relance, chargé des comptes publics, fait bel et bien figure d’acte manqué.
Comme le formule la requête déposée par l’Association des Psychologues Freudiens auprès du Conseil d’État, contre toute attente et contre le Code de la Santé lui-même, pourquoi échoit-il à des ministres de statuer sur la méthode à adopter par les psychologues ? N’est-ce pas là une vérité échappée, qui se révèle dans la hâte de ce qui semble ici un faux-pas ? Cette vérité que le programme, déjà bien avancé et mis en application par les Agences Régionales de Santé, de désolidariser le psychologue clinicien de son savoir s’il ne s’ajuste pas aux protocoles de soins, doit aller jusqu’au bout du bout ? Un savoir qui ne serait donc d’aucune utilité pour la « production » des soins ! Seulement voilà, cela prend du temps, alors que les ministères sont pressés !
L’association des psychologues freudiens s’honore de publier cet ensemble de textes, qui rendent compte chacun à sa manière de ce que signifierait le « bannissement de l’inconscient » de leur pratique. Car dès lors, la pantomime du sujet, traversé par le langage, tout comme sa parole énoncée ou verbalisée, dont Lacan a formalisé les circuits sur son graphe à deux étages, ces voies de l’adresse à l’Autre et à l’autre, deviendraient obsolètes, laissant le champ au pire et le sujet dans les limbes, c’est à dire livré à une extimité redoutable. C’est ce savoir dont ils se sont enseignés auprès des patients dont témoignent ici certains de ces praticiens, d’horizons divers.